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DE LA CRITIQUE DES DROITS DE L'HOMME

l'homme désagrège le droit. À cet artifice abstrait qu'incarne la loi en plein cœur de
la modernité, l'anti-droit-de-l'hommisme qu'attise la Révolution française à la fin
du xviiie siècle puis tout au long du xixe, opposera tantôt la réalité de la nature
tantôt celle de la société. La première sera convoquée sous le signe de la réaction (A)
tandis que la seconde sera mobilisée dans une perspective progressiste (B).

A. La critique réactionnaire des droits de l'homme fondée sur la nature
des choses
La parenté idéologique entre le culte des droits de l'homme et l'exaltation de
la loi n'a jamais paru évidente tant la thèse de l'antinomie entre la garantie des
droits et la puissance de l'État détient encore la force d'un préjugé. La garantie
des droits est d'ailleurs, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, l'une des exigences substantielles, aux côtés de la
séparation des pouvoirs, de l'existence d'une Constitution dont la fonction
essentielle est, justement, de limiter la puissance de l'État. Or, fondé sur l'idée,
au demeurant exacte, selon laquelle les droits de l'homme sont opposables à
l'État, ce préjugé ne doit pas occulter la généalogie philosophique des droits
subjectifs de la personne humaine qui sont nés d'une pensée ayant justement
contribué à construire... la souveraineté de l'État. L'origine de l'individualisme
se situe en effet dans une doctrine de la seconde scolastique, le nominalisme de
Guillaume  d'Occam, dont la fonction déconstructionniste aura pour conséquence, à terme, de faire jouer à la fiction de l'État le rôle qu'assuraient les
universaux dans la tradition du réalisme aristotélico-thomiste. Que déconstruit
en effet cette doctrine, qui est à l'origine de l'individualisme, au point de rendre
légitime, à terme, la construction de l'État ? Précisément toutes les structures
collectives, réputées naturelles, au sein desquelles l'individu ne pouvait pas être
pensé. Reléguant ces entités universelles, que les Anciens tenaient pour réelles,
dans l'univers conceptuel du langage, la démarche analytique du nominalisme
a eu pour effet majeur de représenter la société comme un agrégat d'individus
dont l'ancrage dans des communautés, à l'instar de la famille, de la cité ou des
ordres, ne devait plus être tenu pour naturel. Quand le réalisme aristotélicien
réputait réelles de telles communautés, l'idéalisme occamien les considéra
comme purement idéelles et ébranla, ce faisant, toute la métaphysique réaliste
de la philosophie classique. Mais ce fut au prix d'une nouvelle métaphysique,
celle du Sujet. Une métaphysique humaniste supplanta la métaphysique d'Aristote en érigeant l'individu au rang d'universel à l'assaut duquel, bien plus
tard,  David  Hume se dressera en contestant l'identité du moi9 et dont seuls
9. Selon Hume, « au-dedans de moi, il n'y a pas de centre » et la démarche empiriste dont
le penseur écossais est la figure emblématique n'est rien d'autre qu'une entreprise de déconstruction
qui poursuit, au détriment du Sujet, le processus enclenché au détriment des communautés par
la philosophie nominaliste. En poursuivant la démarche analytique du nominalisme, l'empirisme
humien range le sujet dans le monde des substances et le considère, chemin faisant, comme une
hypostase. V. D. Hume, L'entendement. Traité de la nature humaine, Flammarion, 1995.
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