Les Mélanges - Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Henri Oberdorff - 95

ALEXANDRE VIALA

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juges, de les soumettre à un processus de redéfinition législative. Leur insertion
dans le droit positif peut désormais faire l'économie de cette transformation et
laisser intacte la pureté de leur substance, maintenant que dans un contexte postmoderne marqué par un certain reflux du volontarisme, celle-ci ne se ramène
plus, comme l'impliquait la représentation hobbésienne du droit naturel, à une
indistincte humanité ni à une liberté absolue des individus dont l'exercice était
susceptible de conduire à un indescriptible chaos que seul pouvait contenir un
législateur puissant. La lisibilité désormais reconnue des droits subjectifs permet
d'en exiger le maintien, sans le concours systématique de la loi, lors de leur institutionnalisation dans l'état social. Cette lisibilité objective, de type lockien, qui
s'impose dans la vision contemporaine des droits de l'homme, tranche avec l'abstraction hobbésienne d'un droit naturel qui, en plein cœur de la modernité, était
regardé avec un zèle anti-aristotélicien comme dépourvu de tout contenu et, partant, n'avait pour fonction que de fonder la légitimité du législateur.
En sorte que cet objectivisme contemporain, aux termes duquel la garde des
droits de l'homme est naturellement confiée au juge qui sait en saisir la substance
sans le truchement de l'élu, apparaît, aux yeux des tenants du discours républicain
anti-droit-de-l'hommiste, comme un leurre dangereux derrière lequel se dissimule habilement le gouvernement des juges. Ces doctrinaires de la République,
en effet, ne se laissent pas abuser par les lumières du juge et déplorent, au contraire,
en raison de son défaut de légitimité démocratique et des risques d'arbitraire
inhérents à son pouvoir d'interprétation, la perte de toute normativité objective
et de toute transcendance que seule la loi est à même, à leurs yeux, de garantir.
L'objectivité du droit, sans laquelle le lien social ne peut se réaliser, ne siège pas
dans les droits de l'homme mais provient exclusivement, dans la logique de leur
philosophie politique, de l'autorité de l'État. Leur ostracisme à l'égard du juge,
dont ils réfutent l'aptitude à réprimer ses préjugés et ses inclinations affectives
pour rendre des verdicts justes et objectifs, plonge ses racines philosophiques dans
l'émotivisme de Thomas Hobbes, ce philosophe de la peur qui n'aimait pas les
controverses, car elles constituaient, à ses yeux, un redoutable germe de menaces
pour le salut de l'État. La conception sceptique et subjectiviste de Thomas Hobbes
pour qui, à l'instar de celle du souverain, la décision du juge est l'expression de
l'autorité et non de la vérité, trouvera son prolongement dans la culture légicentriste et la tradition du légalisme qui ont prospéré en France tout au long du
xixe siècle. Elle implique la thèse républicaniste de l'inféodation du magistrat au
souverain dont se fait aujourd'hui l'écho, d'une certaine manière, la théorie du lit
de justice constitutionnelle en vertu de laquelle, dans une démocratie, le juge
constitutionnel ne saurait avoir le dernier mot et doit souffrir de voir exposées au
désaveu du pouvoir constituant ses propres censures prononcées contre la loi.
Mais si la critique républicaine cultive un tel pessimisme anthropologique au
point de dénier au juge l'aptitude à discerner objectivement le juste, certains de ses
tenants ont tendance à idéaliser l'État et à invoquer sa transcendance pour légitimer la souveraineté de la loi. L'angélisme auquel ils refusent de souscrire pour
définir le juge, voilà qu'ils en font montre avec une forte dose de mystification
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