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DE LA CRITIQUE DES DROITS DE L'HOMME

pour louer les vertus de l'État et de la loi. Le prix de cette idéalisation est très élevé
dans la mesure où elle procède d'une dérive essentialiste de la modernité au terme
de laquelle les présupposés relativistes sur lesquels celle-ci reposait se voient détournés et trahis dans leur principe.

B. La dérive essentialiste de l'anti-droit-de-l'hommisme républicain
L'élargissement du champ normatif des droits de l'homme au niveau constitutionnel et international, opéré par des États soucieux, au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale et sous la bénédiction du juge, de tourner le dos aux excès du
volontarisme, est imputable à l'explosion de la société. Au xixe siècle, celle-ci
n'était pas aussi complexe et fragmentée qu'aujourd'hui, la bourgeoisie jouissant
alors du monopole de la représentation politique. À cette époque, si l'intervention du législateur était justifiée, dans une perspective volontariste, par la nécessité de fixer avec autorité le contenu généreux des droits naturels proclamés en
1789, l'universalisme formel et abstrait de la formulation de ces droits était, ce
faisant, d'une commode plasticité pour une représentation nationale bien heureuse de pouvoir y loger, grâce à son monolithisme sociologique, une législation
garante du maintien du libéralisme économique. Si bien que le support législatif
des libertés publiques, ne consacrant que des droits formels à défaut de libertés
réelles21, n'était d'aucun secours pour une classe ouvrière générée par la révolution
industrielle.
Tandis que l'époque des libertés publiques confiait au seul législateur le soin
d'imposer les valeurs de l'État gendarme, au nom d'une métaphysique de la volonté générale qui avait bon dos pour que soient préservés les acquis de la révolution
bourgeoise, l'ère contemporaine met à nu au niveau constitutionnel toutes les
valeurs concurrentes de la société pour forcer les pouvoirs publics et le juge à les
faire coexister. Loin de revêtir la forme d'un vaste marché des droits de l'homme
dans lequel chacun se servirait égoïstement en piétinant la transcendance constitutionnelle de l'imaginaire collectif de la République que d'aucuns, nostalgiques
d'une époque révolue, confondent avec le monopole législatif instrumentalisé par
la bourgeoisie d'antan22, l'explosion des droits subjectifs qu'on observe aujourd'hui
21. K. Marx, La question juive, op. cit., 1844.
22. Tels sont ces auteurs, dont certains ont été cités plus haut, qui entretiennent cette
nostalgie en formant ce qu'on peut appeler, depuis les années  2000, l'École du  Havre :
J.  Bouveresse, « Des droits, quels droits ? Les droits fondamentaux entre individualisme
dissociateur et pouvoir manipulateur », in L'évolution des droits fondamentaux de la personne
humaine en 1997 et 1998, actes du colloque du  Havre, mai  1999, L'Harmattan, 2000 ;
« Droits fondamentaux, État de droit : l'héritage dilapidé de 1789 », in Regards critiques sur
l'évolution des droits fondamentaux de la personne humaine, colloque du  Havre, mai  2001,
L'Harmattan, 2003 ; P. Fraisseix, « Les droits fondamentaux, prolongement ou dénaturation
des droits de l'homme ? », RDP 2001, no 2, p. 531 ; A. Troianiello, « Les droits fondamentaux,
fossoyeurs du constitutionnalisme ? », Le Débat, 2003, no 124, p. 192 ; G. Lebreton, Libertés
publiques et droits de l'homme, Sirey, 2009. Selon A. Troianiello, « la consécration de droits
fondamentaux toujours plus nombreux s'inscrit dans ce même mouvement de désagrégation des
soubassements républicains du droit constitutionnel » (op. cit., spéc. p. 64).
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