Contextes - Les blogs juridiques et les enjeux d'une dématérialisation de la doctrine - 31

DES ARRÊTISTES AUX BLOGUEURS

pays3, la presse juridique française est avant tout une affaire de praticiens. Dans un contexte de déclin des Universités à la fin de l'Époque
Moderne, les principaux acteurs de la vie juridique du temps ne sont autres
que les hommes du Palais, et les premiers véritables journaux juridiques
apparaissent véritablement dans le dernier tiers du xviiie siècle. La presse
juridique et judiciaire connaît alors un essor considérable, bien que l'histoire de ces premiers journaux demeure encore largement à écrire. Toutes
proportions gardées, le nombre et la variété de ces périodiques ne va pas
sans rappeler le dynamisme et l'enthousiasme que suscitent aujourd'hui
les blogs comme nouveaux médias du droit.
Parmi les journaux juridiques les plus significatifs de la fin de l'Époque
Moderne au début du xixe siècle figurent les recueils d'arrêts périodiques,
essentiellement consacrés à la diffusion et à l'étude de la jurisprudence.
Nous pouvons citer la Gazette des tribunaux de l'avocat parisien SimonPierre Mars, publiée entre 1775 et 1789, et, pour la période intermédiaire,
la Gazette des nouveaux tribunaux de l'avocat Louis-François Jauffret,
publiée entre 1791 et 1799. Ces deux journaux ont posé les fondations des
recueils périodiques de jurisprudence contemporains, qui seront perfectionnées dès le début du xixe siècle par les recueils Sirey, le Journal des
Audiences (futur recueil périodique Dalloz) et par le Journal du Palais4. Il
ne s'agit pas pour nous de rentrer ici dans le détail de ces collections, dont
les trois dernières formeront le fer de lance de la presse praticienne au xixe
siècle ; il s'agit plutôt d'essayer de montrer en quoi ces premiers journaux
de jurisprudence et leurs auteurs - les « arrêtistes » - sont les lointains
ancêtres des blogs et des blogueurs d'aujourd'hui.
En effet, la lecture de ces périodiques laisse bien souvent à penser que
si Louis-François Jauffret, Jean-Baptiste Sirey ou Désiré Dalloz avaient
connu internet en leur temps, ils eurent été les premiers blogueurs du droit.
Sans aller toutefois plus avant dans l'uchronie, il est néanmoins tentant de
rapprocher ces premiers journaux juridiques des blogs de droit actuels.
Malgré les siècles qui les séparent, ces médias ont en effet en commun un
certain nombre de dynamiques et de singularités.
3. V° notamment J.-L. Halperin, « La place de la jurisprudence dans les revues juridiques en France au XIXe siècle », M. Stolleis et Th. Simon (dir.), Juristische Zeitscriften
in Europa, Frankfurt am Main, 2006, p. 371.
4. Recueil général des lois et des arrêts, en matière civile, criminelle, commerciale et de
droit public (ou recueil Sirey), an XII-1965 ; Journal des Audiences de la Cour de cassation,
ou Recueil des arrêts de cette cour en matière civile et mixte, 1800-1824, - recueil qui deviendra la Jurisprudence générale du royaume, en matière civile, commerciale et criminelle - ou
Journal des Audiences de la Cour de cassation et des Cours royales (ou recueil périodique
Dalloz), 1825 à nos jours ; Journal du Palais, contenant les jugements du Tribunal de cassation, et des tribunaux d'appel de Paris et des départements, dans les principales causes et
questions que les lois nouvelles rendent douteuses et difficiles, 1801-1923.

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