Contextes - Les blogs juridiques et les enjeux d'une dématérialisation de la doctrine - 34

30 QUESTION DE STYLE : L'ÉCRITURE DU DROIT SUR LES BLOGS

tentent alors de sauvegarder la culture juridique des hommes du Palais,
voire de sauvegarder la culture juridique tout court. En diffusant un
savoir, un savoir-faire et des valeurs mises à mal par la pensée du temps,
les arrêtistes assurent un véritable rôle de « passeurs culturels »10.
La Gazette est ainsi ouverte à la plume des juristes et des gloires du
barreau, et publie des discours, des plaidoiries ou des dissertations. Le
périodique de Jauffret participe aussi à la promotion du corps des juristes,
en offrant une tribune à leurs initiatives. En 1791 par exemple, il publie
les statuts de la « Société d'hommes de Loi établie à Paris », véritable
groupement à dimension professionnelle créé pour se substituer au défunt
Barreau11. La même année, Jauffret déplore encore dans un article consacré
au nouvel ordre judiciaire l'amateurisme des nouveaux défenseurs officieux,
et plaide ouvertement pour le retour des jurisconsultes à la barre12. Enfin,
les auteurs du périodique répondent dans une rubrique explicitement
intitulée « jurisprudence »13 aux questions que leur soumettent les lecteurs.
Au tournant du xixe siècle, l'instabilité révolutionnaire laisse la place au
renouveau politique et juridique du Consulat et de l'Empire. Alors que
les magistrats récupèrent les oripeaux de leur grandeur d'antan, et que le
(XIXe-XXe s.) », Études d'Histoire du Droit et des Idées Politiques, n° 17/2013, Presses de
l'Université Toulouse 1 Capitole, Toulouse, 2012, p. 191-205.
10. Sur cette notion, v° notamment D. Cooper-Richet, J.-Y. Mollier et A. Silem,
Passeurs culturels dans le monde des médias et de l'édition en Europe (XIXe et XXe siècles),
Presses de l'Enssib, Villeurbanne, 2005.
11. Gazette des Nouveaux Tribunaux, 1791, p. 420 et suiv. Fondée en 1791, cette société
réunissait « hommes de lois ou avoués, [...], procureurs au châtelet, qui, ne pouvant se
résoudre à s'isoler entièrement les uns des autres, ont cru devoir former des débris de leurs
corps, une agrégation nouvelle ». L'un des objectifs de cette association était de « s'éclairer
mutuellement sur l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale ».
12. L.-F. Jauffret, Gazette des Nouveaux Tribunaux, n° 27, 1791, p. 1-15 : « Combien
de ci-devant procureurs n'avons-nous pas vu qui, voulant tirer des circonstances le meilleur parti possible pour leur intérêt, ont pris la résolution de plaider eux-mêmes... On les
voit, lecteurs insipides et monotones de leurs ouvrages, écoliers dans l'art de parler, ôter à
l'orateur la vie et le mouvement en lui ôtant la mémoire et la prononciation... » [...] « Il
n'existe plus de privilèges exclusifs ; mais je soutiens que lorsqu'on force son talent, on
ne peut rien faire avec grâce [...]. Parmi les membres distingués, qui composaient l'ancien
ordre des avocats, il en est quelques-uns, qui ont cru devoir suspendre leurs travaux, et se
reposer à l'ombre de leurs anciens lauriers. Leur absence, il faut en convenir, laisse un grand
vide dans les nouveaux tribunaux ; et c'est avec le plus grand regret que nous nous voyons
privés des prodiges journaliers qu'enfantait leur éloquence. [...]. Qu'ils se présentent dans
un barreau que leurs talents peuvent encore illustrer ! ».
13. Le mot jurisprudence est bien sûr ici entendu dans son sens classique («science du
droit » ou « science du juste et de l'injuste »), et non sous son acception strictement judiciaire. Sur les détours et les évolutions sémantiques de la notion de jurisprudence, nous nous
permettons de renvoyer à P.-N. Barenot et N. Hakim, « La jurisprudence et la doctrine :
retour sur une relation clef de la pensée juridique française contemporaine », Quaderni
fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno, n°41, 2012, p. 251-297.

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