Grands Colloques - Les figures du juge administratif - 71

NIL SYMCHOWICz

de pouvoir où l'on voit le juge administratif tenir compte de circonstances postérieures à l'acte pour mettre en évidence l'intention réelle de
son auteur4. Le juge se reconnaît occasionnellement le pouvoir, en guise
d'éclairage, de prendre en compte des faits postérieurs à l'acte afin d'identifier une éventuelle erreur de fait5. C'est un tout petit pas vers la remise
en cause de cette règle temporelle des normes de référence. Elle manifeste
cependant la volonté du juge de sortir du cadre théorique du recours pour
excès de pouvoir pour sanctionner l'illégalité, tandis qu'elle témoigne dans
le même temps des contraintes, parfois, illogiques, de cette règle.
Ensuite, la question de la rétroactivité de l'annulation. C'est l'évolution majeure qu'a connue le recours pour excès de pouvoir. Le Conseil
d'État a en effet développé tout un panel d'instruments lui permettant de
véritablement déjouer une rétroactivité trop radicale. Il faut tout de suite
noter que ces techniques sont à la discrétion du juge qui peut décider ou
ne pas décider de les employer. Au juge donc, et à lui seul, d'apprécier, et
donc de gérer dans le temps, la portée de ces illégalités originelles.
Le premier moyen qu'il a trouvé de déjouer la rétroactivité attachée à
l'annulation a été développé dans des hypothèses d'annulation, qui seraient
en quelque sorte inutiles. C'est, en bref, l'hypothèse où l'administration
n'a pas fondamentalement mal agi ; mais elle a agi avec maladresse. Et la
décision prise - illégale - devait ou pouvait être prise, de telle sorte qu'une
annulation rétroactive serait inutilement dommageable. C'est donc tout
simplement - appelons un chat un chat - un régime de régularisation d'actes
illégaux que la jurisprudence - pragmatique - a conçu. Les outils de régularisation sont connus. On les mentionnera pour mémoire, sans détailler
leur régime : (i) la substitution de base légale qui consiste pour le juge à
véritablement « légaliser », régulariser, une décision illégale et ainsi éviter
une annulation rétroactive inutilement dommageable ; (ii) la substitution
de motifs, le motif erroné, en principe susceptible de conduire à l'annulation rétroactive de l'acte, étant remplacé par un autre. Il est au passage
remarquable de constater que la jurisprudence a étendu une telle méthode,
initialement réservée aux cas où la décision attaquée avait été prise dans
l'exercice d'une compétence liée6 ; (iii) c'est encore le cas de la technique,
bien connue du juge constitutionnel, de la neutralisation des motifs, ou
de la réserve d'interprétation. Technique qui permet au juge, pour éviter
une annulation de solliciter, voire de tordre certains motifs d'un acte, afin
d'éviter son annulation.
4. CE Ass., 13 juillet 1962, Bréart de Boisanger, Rec. p. 484, AJDA 1962, p. 548.
5. CE, 29 novembre 1985, SARL Grill, Dr. Adm. 1986, n° 56
6. CE Sect., 6 février 2004, Mme Hallal, Rec. p. 48, concl. Da Silva, AJDA p. 436, chron.
Donnat et Casas.

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