Grands Colloques - Les figures du juge administratif - 82

LES MODULATIONS DES EFFETS DANS LE TEMPS

11. La seconde interprétation a été confirmée, toujours en grande
chambre, un an et demi plus tard27. Répondant à une question préjudicielle posée par le Conseil d'État de Belgique à l'occasion d'un litige
environnemental (où l'annulation rétroactive pour défaut d'évaluation
environnementale, prévue par une directive, d'un arrêté aurait eu pour
effet la remise en vigueur d'une réglementation violant au fond le droit
européen), la Cour de justice affirme (se montrant d'ailleurs nettement
plus restrictive que l'avocat général Juliane Kokott dans ses conclusions)
que « la juridiction nationale pourra exceptionnellement être autorisée (...)
à maintenir certains effets d'un acte national annulé » si quatre conditions
sont réunies : que « cet acte national constitue une mesure de transposition
correcte de la directive » ; que « l'adoption et l'entrée en vigueur du nouvel
acte national (...) ne permettent pas d'éviter les effets préjudiciables (...)
découlant de l'annulation de l'acte attaqué » ; que celle-ci « aurait pour
conséquence de créer un vide juridique en ce qui concerne la transposition
de la directive (...) qui serait plus préjudiciable à l'environnement en ce sens
que cette annulation se traduirait par une protection moindre des eaux
contre la pollution par les nitrates (...) et irait ainsi à l'encontre même de
l'objectif essentiel de cette directive » ; qu' « un maintien exceptionnel des
effets d'un tel acte ne couvre que le laps de temps strictement nécessaire à
l'adoption des mesures permettant de remédier à l'irrégularité constatée »
(pt 63 de l'arrêt).
12. On constate ainsi que, sur le fond, cette grille d'analyse est probablement tout à fait conciliable avec les solutions retenues par le Conseil
d'État dans les arrêts Techna et Canal + distribution. Mais il n'en demeure
pas moins qu'alors que le juge français estime que cette modulation relève
de son office, la Cour de justice ne veut pas reconnaître ce pouvoir au juge
national puisqu'elle indique que « la juridiction nationale pourra exceptionnellement être autorisée » et « entend ainsi retenir au maximum une
compétence qu'elle ne se résout à consentir qu'au cas par cas (...) soucieuse,
à n'en pas douter, de ne pas ouvrir une brèche dans le dogme qui veut
qu'elle assure l'uniformité d'application du droit de l'Union, sa mission
fondamentale »28.
27. CJUE, 28 février 2012, Inter-Environnement Wallonie ASBL, Terre wallone ASBL
c. Région wallonne., aff. C-41/11, AJDA, 2012, p. 995, chron. M. Aubert, E. Broussy et
F. Donnat ; Europe, 2012, com. n° 141, obs. F. Gazin ; JDI, 2013, n° 2, chron. 4, obs. D. DeroBugny ; RJEP, 2013, chron 3, n° 1, obs. H. Cassagnabère.
28. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat, chron. préc., p. 995 ; Contra X. Domino et
A. Bretonneau, chron. préc., p. 2376, qui estiment qu'il « semble encore un peu aventureux
de dire avec certitude que la formulation retenue par l'arrêt Inter-Environnement Wallonie
implique forcément que le juge national soit tenu, dans chaque cas particulier où il envisage
de moduler, de solliciter l'autorisation de la Cour ».

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