Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 115

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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Mais, à condition de se garer de ces excès, que, d'ailleurs, ses tendances traditionnelles rendent, pour l'heure, fort peu à redouter, notre interprétation scientifique ne saurait mieux faire, dans le silence des sources formelles, que de s'orienter
très franchement de ce côté : chercher à résoudre les questions juridiques, qui se
ramènent toutes à des conflits d'intérêts, par une exacte appréciation et une judicieuse comparaison des intérêts en présence, en visant à les équilibrer conformément aux fins sociales329 - C'est de cette façon, par exemple, qu'on pourrait sans
doute judicieusement résoudre un problème juridique capital, susceptible de se
présenter sous diverses formes en tout litige, dont R. von Jhering a maintes fois
mis en relief l'importance essentielle330, et sur lequel notre législation écrite reste
d'une indigence presque absolue, le problème consistant à savoir, à qui incombe la
preuve de faits douteux ou contestés, dans les divers rapports de droit331.
C'est par le môme procédé, encore, que l'on arriverait, je crois, à préciser une
théorie, à peine ébauchée par notre jurisprudence, en caractérisant ce que l'on
peut appeler l'abus du droit, susceptible d'engager la responsabilité du titulaire. -
Malgré les formules absolues du droit romain, arrivées jusqu'à nous, notre
conscience juridique moderne répugne, de plus en plus, à admettre, que l'exercice
des droits puisse être illimité332. Cette tendance s'est traduite, notamment, dans
une jurisprudence, aujourd'hui fortement assise, qui refuse d'appliquer la maxime
traditionnelle Neminem lœdit qui suo jure utitur, dans tous les cas, où elle reconnaît
un véritable abus du droit. Depuis longtemps constituée, en vue de limiter certains
usages excessifs de la propriété foncière, et de compléter, en quelque façon, le système légal des relations de voisinage333, cette jurisprudence s'est particulièrement
329. [On en trouverait encore une application intéressante, chez S. Schlossmann, Der Irrtum
über wesentliche Eigenschaften der Person und der Sache nach dem B. G. B. Zugleich ein Beitrag zur
Théorie der Gesetzesauslegtung, 1903, qui, - cherchant à édifier une théorie générale de l'erreur,
basée sur la loi, et, en désespoir de cause, livrée à la libre appréciation du juge, suivant ses idées méthodologiques (p.  1-43). - résume ses conclusions (p.  90-92) dans la formule suivante : Celui, qui se
trouve dans l'erreur sans sa faute, lors de la conclusion d'un contrat. et qui souffrirait un dommage
notable dans ses intérêts du fait du maintien du contrat, peut attaquer celui-ci par voie d'annulation,
en tant que de cette annulation ne résulterait pas, pour l'autre partie, un dommage tout à fait disproportionné à la lésion, que le maintien fait subir à la partie induite en erreur.]
330. Notamment, dans Fondement des interdits possessoire (Der Grand des Besitzesschutzes)
§ VI, p. 45-48 de l'édition française, 1882. - Scherz und Ernst in Jurisprudenz, 1885, p. 49-54, p. 63-69.
- Du rôle de la volonté dans la possession (Der Besitzwille), § XVI, p. 124-170 de l'édition française,
1891. - Geist des römischen Rechts, III, 1 (4 A., 1888), § 52, texte et note 42 b, p. 54-55 et p. 78 : 3e éd
franç. de Meulenaere, t. IV, 1888, § 62, texte et note 52, p. 52 et p. 75.
331. Pour l'esquisse d'une théorie générale, voy. notamment, F, Regelsberger, Pandekten, § 195,
t. I, 1893, p. 693-698. - Et, sur la charge de la preuve, dans le cas particulier de l'art. 2037 C. civ. franç.,
voy. note de Ch. Lyon-Caen, sous Req, rej., 2 décembre 1895, Sir. 96, 1, 65. - Sur la charge de la preuve,
dans le Code civil allemand de 1896, voy. G. Planck, Bürgerliches Gesetzbuch, t. I, 1897, p. 43-47. - Voy.
aussi : A. Stölzel, Schulung für die civilistische Praxis, t. I2, 1898, t. II, 1897. passim, et v. Knieriem,
Behauptungspflicht und Beweislast bei der lage auf Zahlung eines angemessenen Kaufpreises, 1896.
332. Comp., sur la conception germanique, d après laquelle tout droit implique un devoir, et contient, en lui-même, une limite morale : O. Gierke, Der Entwurf eines B. G. und das deutsche Recht, 1889,
p. 183. - Deutsches Privatrecht, § 36, I, t. 1, 1895, p. 319-320. [- Comp. Z. M. Peritsch (de Belgrade)
(Die gegenwärtige Richtung der privatrechtlichen Studien in Frankreich und Deutschland), dans Blätter für
vergleichende Rechtswissenschaft und Volkswirischafislehre, 1906, t. II, p. 376-378, qui indique la théorie
de l'abus du droit : comme un exemple de réaction des idées sociales et économiques sur le droit : le droit
subjectif tend à devenir un devoir.] - Voy. aussi : E. Picard, Le droit pur, 1899, § CXIII. p. 241-242.)
333. Voy. notamment : Aubry et Rau, §  194, t.  II5, 1897, p.  302-309 - Demo-lombe, t.  XII,
nos 646-663. - Baudry-Lacantinerie et Chauveau, Des Biens, 2e éd., 1899, nos 215-225, p. 159-169. -
Note de Ch. Blondel, sous Civ. Cass., 11 novembre 1896, Sir, 97, 1, 273. - Cpr. R. von Jhering, dans
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