Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 117

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

113

174. Pour dire ici toute ma pensée, je suis convaincu, que le progrès juridique
s'opérera, plus large et plus sûr, par une méthode d'investigation sincère, qui,
reconnaissant ouvertement les lacunes de la loi écrite, cherchera à y pourvoir, au
moyen de procédés scientifiques indépendants, scrutant, en toute franchise, la
nature objective des choses, et cherchant notamment à produire l'équilibre des
intérêts, - que par le faux-fuyant d'une interprétation forcée des textes légaux,
dont le tort n'est pas seulement de méconnaître la nature de la loi écrite et les règles
propres à sa mise en valeur (voy. ci-dessus nos 95-107), qui, de plus, ne peut que
fausser les idées et conduire à des conclusions incomplètes (voy. déjà n° 33, in fine,
t. I, p. 66-67). - Qu'il me soit permis de m'en expliquer d'un mot, en choisissant,
comme exemple, une autre extension de notre conception traditionnelle de la responsabilité civile. J'entends viser, surtout, la théorie, dite de la responsabilité objective, suscitée, en ces derniers temps, par le louable désir d'obtenir réparation équitable de certains accidents, dont la cause reste ignorée, ou, du moins, ne manifeste
aucune faute nettement caractérisée. On sait que, malgré les lois, du 9 avril 1898, et
du 30 juin 1899, le débat conserve son intérêt, pour tous les cas de ce genre, ne
rentrant pas dans le domaine de ces lois, ou de celles qui les ont complétées.
Passant en revue, et analysant, avec une sûreté et une finesse remarquables, les
diverses théories, proposées en ce sens, jusqu'à celle qu'il fait sienne, L. Josserand340
n'a pas eu de peine à nous montrer, que, soit qu'elles aient visé à élargir le champ de
la responsabilité contractuelle, soit, qu'en amplifiant les présomptions de faute,
elles aient tendu jusqu'à l'extrême le ressort de la responsabilité délictuelle, ces théories sont demeurées impuissantes à consacrer les résultats souhaitables, en même
temps qu'elles violentaient les textes légaux invoqués à leur appui.
Mais, si nous nous arrêtons à considérer, du même point de vue, la conception nouvelle de la responsabilité objective et purement légale, proposée, dès 1894,
par R. Saleilles341, et développée par cet auteur342, en même temps que par
L.  Josserand lui-même, en 1897, ne serons-nous pas invinciblement amenés à
reconnaître, qu'en tant qu'elle prétend s'appuyer sur les dispositions positives de
notre loi, et, comme on l'a dit, découvrir, dans le Code civil lui-même, le principe
du risque professionnel, cette ingénieuse théorie encourt exactement les mêmes
reproches que ses devancières ? - D'une part, soit qu'avec L. Josserand, elle s'attache presque exclusivement à la formule, banale et vague, de l'art, 1384, al. 1, in
fine343, soit que, plus bardie et plus entière chez R. Saleilles, elle remonte jusqu'au
texte fondamental, et prétende substituer le simple rapport de causalité, à la faute
proprement dite, dans l'art.  1382 lui-même344, il semble difficile de contester,
qu'en un cas, elle outrepasse la pensée345, qu'en l'autre, elle dénature l'expression,
p. 97-98 (§ 5) et p. 107 (§ 8). - Dans un sens assez différent, Gh. Jaubert (L'article 1382 du Code civil et la
justice d'équité), dans Revue critique de législation et de jurisprudence, 1906, t. 55, nouv. série, t. XXXV,
p. 562-576, critique la théorie doctrinale et jurisprudentielle de l'abus du droit ; il désire, sans y compter,
qu'elle soit remplacée par des dispositions légales, limitant positivement et nettement les droits.]
340. De la responsabilité du fait des choses inanimées, 1897, p. 11-52.
341. Revue bourguignonne de l'Enseignement supérieur, 1897, t. IV, 1re partie, p. 659-665.
342. R.  Saleilles, Les accidents de travail et la responsabilité civile, 1897. - Adde  note dans
D. P., 97, 1, 433. - Le Risque professionnel dans le Code civil. Communication, à la Société d'économie
sociale, le 14  février 1898, dans la Réforme sociale, no  du 16  avril 1898, t.  XXXV, p.  635-649.
Cpr. p. 666-667.
343. L. Josserand, op. cit., p. 74-117.
344. Saleilles, Les accidents de travail, nos 26-54, p. 42-74.
345. C'est ce que L. Josserand dissimule à peine, op. cit., p. 52, p. 127.
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2
