Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 123

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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C'est, en effet, comme une nécessité de nature, que le droit, qui ne peut se
réaliser de lui-même, à la façon d'un mécanisme fatal373, mais qui a besoin de la
volonté humaine, seule capable d'adapter à la vie des règles tendant à en diriger
la poussée aveugle, laisse à cette volonté un certain jeu d'action, sans lequel elle
resterait impuissante contre les résistances brutes de la réalité des choses.
- Aussi, tout en distinguant l'autorité, chargée de déclarer les règles de droit
(pouvoir législatif), et celle qui a mission d'en procurer l'exécution (pouvoir
exécutif), ne peut-on s'empêcher de reconnaître à cette dernière une faculté de
mise en œuvre, impliquant une assez grande liberté d'appréciation des circonstances, dans lesquelles se meut l'œuvre juridique. De là surgit ce qu'on appelle
volontiers le pouvoir discrétionnaire, qui rayonne au-delà de l'administration
proprement dite et s'étend jusqu'à la juridiction, sous toutes ses formes, puisque,
aussi bien et en dépit des subtilités d'une analyse trop minutieuse, l'autorité
judiciaire ne constitue qu'une branche, nettement spécialisée, de l'autorité exécutive. - De fait, il suffit de considérer, d'un peu près, la structure et le jeu de
notre législation moderne, pour constater, que sa mise en œuvre requiert, de
façon constante, une intervention personnelle du juge, sans laquelle ses dispositions, en apparence les plus nettes, ne sauraient s'appliquer aux faits qu'elles
doivent régir, leur formule restant trop rigide ou trop distante des réalités à
saisir374. On a, même, observé, que les législations contemporaines, les plus
récentes, loin de se regimber contre cette coopération inévitable du judiciaire
avec le législatif, l'avaient franchement reconnue, en multipliant, de parti pris, ce
qu'on a appelé les formules élastiques (on a dit, aussi, les paragraphes-caoutchouc), de façon à ouvrir au juge, par leurs dispositions mêmes, l'occasion
d'exercer, en des lignes largement tracées, la faculté d'appréciation, que comporte son office, sainement compris. - Pareille tendance s'est manifestée, en
plusieurs paragraphes du Code civil allemand de 1896375, et, plus amplement
encore, dans tout l'ensemble du Code civil suisse de 1907376. Et, si mis à part le
domaine administratif, où elle a toujours trouvé son terrain d'élection, elle n'apparaissait, qu'à l'état latent, dans le Code Napoléon, et les autres Codes du
même temps377, du moins s'est elle révélée dans les lois françaises d'ordre privé,
373. Comp. ci-dessus, t. I, p. 219, texte et note 1 avec les références (n° 86).
374. Comp. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 6e éd., t. I, Paris, 1911, n° 204, p. 83.
375. Voy., entre autres, le fameux § 138 al. 1, sur lequel cons. R. Saleilles, De la déclaration de
volonté, Paris, 1901, p. 251-291. - Adde les §§ 157 ; 162 ; 242 ; 315, al. 1 ; 317, al. 1 ; 660, al. 1 ; 723,
al. 1-2 : 745, al. 1-2 ; 1246 ; 1568, et nombre d'autres. - Cons. là-dessus, ci-devant, t. I, p. 212, note 6,
p. 213, notes 1 à 3 (n° 85) et les références. - H. Dernburg. Das bürgerliche Recht des deutschen Reichs
und Preuszens, 3. A., t. I, 1906, § 19, I, p. 55-56. - K. Hellwig, Lehrbuch des deutschen Zivilproceszrechts, t. II, Leipzig, A. Deichert, 1907, § 93, II, 1, p. 164-165. - L. Brütt, Die Kunst der Rechtsanwendung, Berlin, J. Guttentag, 1907, p. 163-169 (§ 10). - A. von Tuhr, Der allgemeine Teil des deutschen
bürgerlichen Rechts, t.  I, Leipzig Duncker u. Humblot, 1910, p.  28-30 (Einleitung, VI, 3). -
Comp.  R.  von Laun, Das freie Ermessen und seine Grenzen, Leipzig u. Wien, F.  Deuticke, 1910,
p. 79-90, passim (1 Teil, IV). - Et, pour le Code civil suisse de 1907 : M. Gmür, Die Anwendung des
Rechts nach Art. 1 des schweizerischen Zivilgesetzbuches, Bern, Stampfli et Cie, 1908. p. 25 (§ 3, I, 2),
texte et note 2 ; p. 114-116 (§  6, III, 2-3).
376. Voy. surtout : Code civil suisse, du 10 décembre 1907, art. 4 cbn. art. 30 ; 65 ; 72 ; 140 ; 257 ;
267 ; 269 ; 334 ; 343 ; 350, al. 3 ; 380 ; 381 ; 576 ; 717 ; - et C. féd. des obligations, révisé en 1905 et 1909,
art. 2 ; 44 ; 47 ; 49 ; 50 ; 54 ; 92 ; 93 ; 100 ; 138 ; 139 ; 205 ; 269 ; 291 ; 352 ; 373 ; 388 ; 392 ; 480 ; 545 ;
547 ; 576 ; 578 ; 580 ; 584 ; 596 ; 611-657 ; 666 ; 685 ; 704 ; 710 ; 711 ; 791 et sq. ; 800 ; 812 ; 827 ; 849 et
sq. : 926. - Comp., ci-après, Épilogue ajouté à la seconde édition (du présent ouvrage), chapitre second. Les pouvoirs du juge d'après le Code civil suisse, du 10 décembre 1907.
377. Voy. pourtant les textes du Code civil de 1804, signalés plus haut, t. I, p. 214 (n° 85).
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