Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 126

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

même de la libre recherche scientifique, dont certains s'obstinent à contester la
légitimité. De fait, si l'on ne peut nier que, pour remplir pleinement sa mission, le
juge ait besoin d'assouplir la rigidité des formules légales, et, au besoin, d'y introduire certains éléments personnels, faute desquels elles ne sauraient saisir les
faits387, on hésitera davantage à lui reconnaître le pouvoir de créer des règles nouvelles ; et il serait possible, à la rigueur, de maintenir ce point de vue restrictif, si
l'on acceptait l'idée d'une plénitude logique du système du droit positif issu des
seules lois écrites388.
Aussi, n'est-il pas douteux, que le législateur, quel qu'il soit sentant, pour
certaines solutions, le besoin d'une appréciation individuelle, consacre, peu ou
prou, implicitement tout au moins, le pouvoir discrétionnaire du magistrat389. Et,
c'est ce dont témoignent, même en dépit d'une réserve voulue, certains articles du
Code Napoléon390. À l''inverse, on peut concevoir un législateur, tellement pénétré
de l'idée de la plénitude de son œuvre, qu'il se refuse, de parti pris, à en admettre
des lacunes, proprement dites, qui ne puissent être comblées que par des règles de
la création du juge. Et, si nous avons pu soutenir qu'une décision contraire se
dégageait de l'article 4 du Code civil, interprété à la lumière des travaux préparatoires391, la vérité nous oblige à reconnaître, qu'une manière de voir assez différente pourrait être appuyée au texte même de cet article 4, puisque le législateur
n'y prévoit le refus de juger, que sous le prétexte du silence, de l'obscurité ou de
l'insuffisance de la loi, semblant ainsi taxer d'erreur le magistrat qui alléguerait
une de ces défaillances du texte392.
On conçoit donc une différence, du plus au moins, entre la libre recherche, qui
tend à créer individuellement des règles nouvelles, et le pouvoir discrétionnaire, qui
se borne à imprimer une direction inattendue à des règles, dont la forme est révélée
primitivement par la loi. Que si l'on veut préciser cette différence, au moyen d'une
terminologie, qui en rende nettement la pensée essentielle, peut-être pourrait-on
dire, que la première vise proprement l'interprétation du droit positif, tandis que la
seconde se réfère à son application, c'est-à-dire à son adaptation à la vie393.
Pouvons-nous tirer de là une conséquence précise, touchant la manière, dont
l'interprète devra procéder, suivant qu'il exercera l'une ou l'autre des deux
387. Même le jurisconsulte, qui représente le type extrême de la « stricte observance », F. Laurent, fait une place fort large aux cas, où le juge doit statuer comme ministre d'équité. Voy. Notamment : F.  Laurent, Principes de droit civil, t.  I, n°  256. Qu'est-ce autre chose que l'application du
pouvoir discrétionnaire ? Comp. ci-dessus, t. I, p. 211, texte et note 2, p. 214, note 3 (n° 85). - Adde t. II,
p. 109-113 (n° 163).
388. Comp. ci-dessus, n° 81 bis, t. I, p. 193-203.
389. Il n'est même pas nécessaire que cela résulte d'un texte formel. Voy., pourtant, l'article 4 du
Code civil suisse, du 10 décembre 1907 : « Le juge applique les règles du droit et de l'équité, lorsque la
loi réserve son pouvoir d'appréciation ou qu'elle le charge de prononcer en tenant compte soit des
circonstances, soit de justes motifs ». - Mais il est clair, qu'en dehors même des cas prévus par ce texte,
la formule de la loi peut impliquer, sous mille formes, l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
390. Voy. ci-dessus, t. II, p. 184, note 1 (n° 176 bis).
391. Voy. notamment les passages du discours préliminaire (rédigé par Portalis) signalés ci-dessus, t. I, p. 98-100 (nos 47), et p. 114, note 3 (n° 85).
392. Ce n'est pas à dire, d'ailleurs, qu'une législation, qui serait basée sur cette idée, fût pratiquement viable.
393. Comp ci-après, n° 180. - E. Zitelmann, Lücken im Recht (Rede) Leipzig, Duncker u. Humblot, 1903, p. 29-32, voit la différence, dans le caractère, particulier et individuel, de l'appréciation,
rentrant dans le « freies Ermessen », tandis que la libre recherche soumet aux juges des questions
générales, abstraites.
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