Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 31

LES SOuRCES FORMELLES Du DROIT PRIVÉ POSITIF ET LEuR INTERPRÉTATION

27

À défaut d'institutions et d'idées semblables, difficiles à acclimater dans nos
mœurs et à accommoder à notre état social, ne pourrions-nous pas, cependant,
nous inspirer du résultat obtenu par elles, et reconnaître, à notre jurisprudence, une
valeur vraiment positive, qui dût influer sur le jugement de l'interprète, et pût, en
l'absence de solution légale, servir de base ferme à sa décision sur le point de droit ?
147.  C'est ici, que nous rencontrons certaines tendances nouvelles, qui,
depuis quelques années surtout, ont paru plus fréquemment monter à la surface
de notre doctrine, sans parvenir jamais à s'agglomérer ni à se fixer, d'une façon
sensible, en un système compact, aux contours nettement arrêtés, prêtant le flanc
à une critique sérieuse. On voudra donc bien m'excuser, si, pour apprécier ces
tendances, du point de vue de mon travail, où elles ont leur place nécessaire, je suis
amené à leur prêter une détermination, que peut-être elles n'ont pas toujours dans
l'esprit de ceux qui s'y rattachent, mais sans laquelle elles n'apporteraient vraiment aucune contribution nouvelle à la science, et resteraient stériles pour la production juridique.
Au surplus, ce qui rend ces idées, si peu consistantes dans leur formule, et si
incertaines dans leur portée, n'est pas autre chose que la confusion, déjà signalée
(ci-dessus, t.  I, p.  210-212, t.  II, p.  33-35), des deux notions qui se rencontrent
nécessairement ici. On sent très profondément que, pour assurer une mise en
œuvre du droit, répondant à tous les besoins et procurant une bonne administration de la justice, il est essentiel de reconnaître à l'interprète, et par conséquent au
juge, un pouvoir de décision propre, dans le silence ou l'insuffisance de la loi. Et,
réagissant contre les préjugés, si malheureusement accrédités chez nous depuis la
codification (voy. ci-dessus, nos 35, 36, 59), on veut, à bon droit, élargir, en ce sens,
le rôle des tribunaux. Mais, du moment qu'on permet à ceux-ci de créer le droit,
dans les espèces concrètes qui leur sont soumises, on incline, bien à tort, suivant
moi (voy. ci-dessus, n° 85), à voir là un empiétement sur le domaine du pouvoir
législatif, et l'on en vient, par une pente naturelle, à tenir, pour conséquence nécessaire de la première solution, la reconnaissance, au profil des tribunaux, d'un
pouvoir de création juridique, in abstracto, qui ne se peut expliquer, qu'en érigeant les précédents judiciaires, comme formant, par eux-mêmes et à eux seuls,
une sorte, de droit coutumier sui generis, en source formelle de droit positif. - Telle
est, ce me semble, la genèse de la doctrine, que je veux apprécier ici. Et, par là, on
se rend compte de l'obscurité, qui en enveloppe l'affirmation. La plupart de ceux,
qui s'y sont rattachés, font porter l'effort de leurs raisonnements sur la nécessité
de la libre appréciation juridique de l'interprète, qui n'est pas en question à cette
place. Ce n'est guère qu'occasionnellement, et, pour ainsi dire, à titre épisodique,
que quelques-uns ont laissé entendre la conclusion, plus extrême et très différente,
qu'ils en tireraient, en faveur d'un pouvoir créateur général de la jurisprudence83.
du droit civil, 1892, p. 50. [- Comp., relativement au caractère de la législation anglaise, les observations intéressantes d'É.  Boutmy, Essai d'une psychologie politique du peuple anglais au XIXe  siècle,
Paris, 1901, quatrième partie, chapitre IV. La loi et l'esprit public : p. 236-259. - Voy. aussi A. Esmein
(La coutume doit-elle être reconnue comme source du droit civil français ?), dans Bulletin de la Société
d'études législatives, 1905, t. IV, p. 541-542 (§ VI).]
83. La confusion, que je signale ici, apparaît particulièrement sensible dans l'estimable Essai sur
le pouvoir prétorien de la jurisprudence, de H. Langlois (thèse de doctorat, Caen, 1897). Après avoir
posé, assez nettement, la question de savoir, si la jurisprudence peut créer le droit, comme une sorte de
coutume, donc, semble-t-il, en constituant des règles obligatoires in abstracto (Voy. Introduction,
p. 9-11 et chapitre préliminaire, notamment p. 29), H. Langlois se préoccupe surtout de montrer et de
Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2

Table des matières de la publication Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2
