Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 39

LES SOuRCES FORMELLES Du DROIT PRIVÉ POSITIF ET LEuR INTERPRÉTATION

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Voilà comment la jurisprudence, en tant qu'initiatrice de coutume, peut, à mon
avis, et de nos jours encore, passer pour une force vraiment productive de droit104.
Mais, puisqu'elle n'a cette force que comme organe de la coutume, ses effets
ne sauraient dépasser ceux que nous avons reconnus à celle-ci. Et, comme nous
n'avons pu admettre l'efficacité d'une coutume contraire à la loi écrite, nous ne
pouvons pas plus attribuer force obligatoire à l'usage, reposant sur une jurisprudence, qui contredirait, formellement, et, pour ainsi dire, violemment, un texte
légal (voy. ci-dessus, n° 129, in fine).
Ceci, il faut le dire, sera rare ; tellement rare, qu'il n'est pas bien facile d'en
citer des exemples décisifs105. Le plus souvent, la jurisprudence, même la plus décidément contestable, passe à côté de la loi sans la choquer absolument, ou la complète sans l'offusquer, lien résulte une interprétation usuelle, qui, une fois passée en
coutume, a engendré une véritable règle de droit. - Comme direction pour l'interprète, pareille jurisprudence coutumière sera surtout précieuse, quand elle comblera de véritables lacunes, et, parfois même, des trous béants de notre législation ;
telles, la jurisprudence, qui a tracé les règles si incertaines, d'après l'art.  389
C. civ. franç., de l'administration légale du père106, celle qui cherche à organiser
régulièrement, à défaut de textes, la tutelle des enfants naturels107, ou cette jurisprudence, toute prétorienne, qui a fixé les règles, suivant lesquelles se déterminent
la propriété des tombeaux de famille et le droit d'assigner une sépulture aux
défunts, qui n'ont pas manifesté leur volonté sur ce point108.
Au surplus, il ne m'appartient pas, à cette place, de développer aucun de ces
exemples, ni d'entrer dans les détails, si intéressants qu'ils puissent être, de cette formation coutumière. Il y a là, un champ d'investigations, tout à fait neuf à explorer,
exigeant, d'ailleurs, un tact très délicat, pour discerner les divers degrés de la force
créatrice, que méritent, suivant les circonstances qui les environnent, les décisions
judiciaires. Parcourir ce champ de recherches, doit être réservé à des études de détail.
C'était assez pour mon dessein, plus général, ici, de montrer comment la
jurisprudence, sans constituer en elle-même une source formelle de droit positif,
104. Comp. M. Mornet, Du rôle et des pouvoirs de la jurisprudence en matière civile ; thèse de
doct. Droit. Paris, 1903-1904. nos  12-14, p. 36-44. - A. Rol Les causes et les effets du divorce (alias :
L'évolution du divorce) ; thèse de doct. Droit, Aix-Marseille, 1904-1905, p. 57-58 (Introduction).]
105. Peut-être pourrait-on indiquer, comme telle, la jurisprudence constante du Conseil des
prud'hommes de la Seine, qui, en cas de sons-entreprise, accorde à l'ouvrier du tâcheron, réclamant
ses salaires, une condamnation solidaire contre le tâcheron et l'entrepreneur, nonobstant la disposition bien formelle, ce semble, de l'art. 1798 C. civ. franç ; adde art. 1202. - Voy. là-dessus ; J. Brodu,
Du marchandage, thèse de doctorat.  Droit, Paris, 1897-1898, p.  48-49. [- A. Colin et H. Capitant,
Cours élémentaire de droit civil, Paris. Dalloz, t. II, 1915, p. 202, indiquent, comme fondée exclusivement sur la coutume, la jurisprudence, qui admet solidarité entre les coauteurs d'an même fait dommageable, pour la responsabilité qui en découle.]
106. Voy, Beudant, Cours de droit civil français. L'Étal et la capacité des personnes. t. II, 1897,
nos 735-737, p. 379-385. [- Voy. aujourd'hui la loi du 6 avril 1910, complétant l'art. 389 C. civ. franç.]
107. Cons. note d'A. Tissier, sous Civ. rej., 10 novembre 1896, Sir. 97, 1, 321. - Adde, sous le
même arrêt, note de Léon Michel, D.  P. 99, 1, 209. - Voy. encore : Req.  rej., 10  novembre 1898,
D. P. 99, 1, 2188, Sir. 99, 1, 24. [- Voy., aujourd'hui la loi du 2 juillet 1907, relative à la protection et à
la tutelle des enfants naturels.]
108. Voy. Ed. Lambert, De l'exhérédation et des legs au profit d'héritiers présomptifs, 1895, § 212,
p. 165-166, et la note 1 pour les références. Adde Req. rej., 23 janvier 1899, Sir. 99, 1, 233. - M. Planiol,
Traité élémentaire de droit civil, t. I6, 1911, n° 3093, p. 979-980 et t. III3, 1905, n° 1705-8°, p. 315. -
Rapprochez la jurisprudence, mal fixée encore, sar l'attribution des meubles de famille. Note de
J. Champcommunal, sous Paris, 3 mars 1896, Pand. franç. pér., 97, 2, 81.
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