Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 74

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MÉTHODE D'INTERPRÉTATION ET SOURCES EN DROIT PRIVÉ POSITIF

dehors du monde des phénomènes ou des contingences122. Et, il importe de remarquer, que ces principes de raison et de justice ne se confondent pas, bien qu'en ait
dit Bekker123, avec les pures conceptions juridiques, que j'ai, maintes fois (notamment, nos 80-81, et 158) signalées, pour en combattre l'excès. La conception est
tout entière œuvre de l'esprit individuel de l'interprète, tandis que le principe ne
mérite ce nom que s'il est extrait de la réalité même des choses ; d'où il suit, que,
tandis que la conception, exprimant une pure hypothèse scientifique, ne doit
jouer que le rôle d'un instrument de la technique juridique, limité, dans ses effets,
à la construction d'une théorie, et à la suggestion de résultats, le principe, au
contraire, dont toute la valeur est due à la vérité qui l'inspire, peut légitimement
prétendre à la fécondité logique et effective de son contenu.
Restent deux questions, fort secondaires, à mon avis, au point de vue de la
pratique de l'interprétation, et que les développements antérieurs permettent de
facilement résoudre.
Les principes de justice, tels que nous les avons reconnus, sont-ils immuables
et universels ? Il a paru difficile de l'admettre, à considérer la variété infinie de
règles juridiques, parfois tout opposées, consacrées suivant les temps et les
pays124. - Mais, n'y a-t-il pas, dans cette opinion, une confusion manifeste, entre
les deux points de vue, que je me suis attaché à distinguer, celui des principes euxmêmes et celui de leur application125. Sans prétendre justifier, sous le rapport de
la justice absolue, les institutions juridiques de toutes les époques et de tous les
lieux, il suffit, pour écarter le scandale de leur diversité, d'observer que, presque
toujours, le but a été moins différent que les moyens de le réaliser126. Mais, si l'on
admet, d'après la raison, l'expérience, et le sentiment intime, l'uniformité de la
nature humaine, l'identité constante de sa destinée, et l'existence d'un ordre
naturel permanent de rapports entre les éléments du monde, on en conclura
nécessairement, que les principes de pure justice, qui ne sont qu'une des faces de
122. Comp., avec les idées ici exposées, celle de J. Oudot : Conscience et Science du devoir, t. I,
1855, p. 329-337. - Rappr. Encore : Demelombe, Cours de Code Napeleon, t. I, n° 8. - Aubry et Rau,
Cours de droit civil français, § 2, note 2, t. I, p. 4. - N'est-ce pas déjà, pour le fond du moins, la conception, qui se dégage des Insructions sur les études propres à former un magistrat, adressées par
d'Aguesseau à son fils. Voy. notamment, dans la Ire et la IIe Instruction, deux passages à combiner
ensemble. Œuvres de d'Aguesseau, édition des libraires associés, t. I, 1759, p. 270-71 et 285-287. [- Voy.,
pour une critique des idées exposées au texte : R. Saleilles (École historique et droit naturel), dans
Revue trimestrielle de droit civil, 1902, t. I, p. 89-90 (§ 3) et p. 105-106 (§ 7).]
123. System des heutigen Pandektenrechts, t. II, 1889. Vorwort, p. VIII-IX. - Ernst und Scherz
über unsere Wissenschaft, 1892, passim, notamment p. 115-130.
124. Voy. les boutades, bien connues, de Montaigne, Pascal, Gœthe, rappelées par Ch. Beudant, Le Droit individuel et l'État, 1891, p. 13-14. - Adde : A. Danten, De la Natare des choses, 1886,
p.  174-177. - L.  Duguit, dans Revue internationale de l'enseignement, 1889, 2°, t.  XVIII, p.  487. -
Comp. : R.  Stammler, Wirtschaft und Recht, 1896, p.  178-179, p.  185. [- A. Colin et H. Capitant,
Cours élémentaire de droit civil français, t. I, Paris, Dalloz, 1914, p. 3-6.]
125. Cpr. Ch. Beudant, Le Droit individuel et l'État, p. 15-16, p. 37-38. - Adde : F. Brunetière,
dans Revue des Deux-Mondes, 1er décembre 1898, t. CL, p. 714. - E. Picard, Le droit pur, Permanences juridiques abstraites, 1899, § CXXXVII, p. 293-295.
126. On peut donc redire, ici, une fois de plus, qu'évoluer n'est pas changer. Voy. F. Brunetière,
dans Revue des Deux-Mondes, n° du 1er janvier 1895, t. 127, p. 105-106 : « L'épanouissement des frondaisons de l'arbre n'est pas une variation du germe ; et ce n'est pas changer, ce n'est pas devenir autre,
que de développer le contenu de sa loi, puisqu'au contraire c'est achever de devenir soi-même » ; et
dans Discours de combat, Paris, 1900, p.  131, note 1, p.  136, p.  146, note 2, p.  147, p.  201, note 1.
- Cpr., en notre matière, A. Morelli, La funzione legislativa, 1893, p. 291. - Voy., aussi, A. de Courcy,
Questions de droit maritime, t. I, 1877, p. 5.
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