Anthologie du droit - Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Tome 2 - 77

LA LIBRE RECHERCHE SCIENTIFIQuE

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proprement dite, sur les circonstances, individuelles et spécialement concrètes, du
cas qui loi est soumis134. Sauf celle réserve, qui nous ramènerait à la seconde forme
de l'équité, dont je parlerai tout à l'heure, j'estime que l'équité, purement instinctive, reste dans le domaine de l'interprétation scientifique, se mouvant hors des
faits et cherchant à établir des types de décisions concrètes. - Dira-t-on que, privée, par notre réserve même, de son atmosphère vitale, l'équité, dont il s'agit,
n'aura pas lieu de s'exercer, ou demeurera forcément stérile. Ce serait une erreur
certaine. Je fais appel à l'expérience de tous ceux, qui ont réfléchi aux problèmes
du droit positif, pour affirmer que, dans nombre de ces problèmes, la solution
juste est acquise, par sentiment instinctif plus que par raisonnement135 ; et cela,
indépendamment de toutes circonstances d'espèce, dans la seule considération
des éléments généraux d'une question. Bien plus, certains problèmes ne se peuvent
élucider, que grâce à cette méthode. Et, entre tant d'exemples, que j'en pourrais
fournir, je citerai toute la théorie du conflit des lois anciennes et des lois nouvelles,
pour laquelle on a vainement tenté d'éclairer, au moyen d'un principe, rationnel,
clair, enveloppant, la portée de la règle de la non-rétroactivité, édictée, d'une
façon si sèche, par l'article 2 du Code civil français136 ; où, malgré les efforts des
formules, on a dû s'en tenir à une distinction, imprécise et fuyante (distinction des
droits acquis et des expectatives), que la nature des choses n'a pas permis d'éclairer complètement, et dont, provisoirement au moins, les cadres ne peuvent être
remplis, qu'à l'aide d'un instinct juridique, que l'étude et la réflexion développeront sans doute, mais qui n'en reste pus moins irréductible aux opérations de la
raison proprement dite. Comment nier, dès lors, que le sentiment de l'équité, envisagé sous ce premier aspect, ne doive conserver une place essentielle, dans une
méthode, complète et suffisante, d'interprétation juridique137 ?
Tout autre doit être, à mon avis, notre attitude, relativement à l'équité, que
j'appellerai individuelle, celle qui détermine l'influence des circonstances particulières à une situation concrète et déterminée, - qualité des personnes, résultats de
la décision, appréciation de l'opinion publique, etc., - sur la solution juridique de
l'espèce. Il est trop clair, que la considération de cette sorte d'équité, dont les éléments sont variables à l'infini, ne peut entrer en ligne dans l'interprétation juridique abstraite, spécialement pour adoucir un droit réputé strict, qu'autant qu'il
ne s'agirait que de lui assigner un rôle éventuel, en vue de l'application même du
droit.  Notre organisation juridique française moderne ne connaît, ni n'admettrait, soit le système des Cours d'équité, qui naguère encore jouait un rôle si capital en Angleterre138, soit l'expédient de procédure, jadis usité dans les actions de
134. Cpr.  l'opinion des Glossateurs, d'après Ed. Meynial, Nouv.  revue histor. de droit, 1897,
t. XXI, p. 352-353,
135. Je sais bien, qu'on a stagmatisé la tendance, que je défends, sous le nom d'équité cérébrine. Mais,
des mots ne sont pas des raisons. - Voy., en faveur des idées, le témoignage autorisé, E R. von Jhering,
parlant d'après son expérience personnelle, dans Œuvre choisies, tard. de Meulenaere, t. I, 1893, p. 89-91.
136. Voy. encore : de Vareilles-Sommières, Une théorie nouvelle sur la non-rétroactivité des lois,
dans Revue critique de législation et de jurisprudence, 1893, nouv. Série, t. XVII, p. 444-458, p. 492-519.
137. Voy. une application, de l'équité et d'un principe de justice, en droit positif, dans Bordeaux,
6 juillet 1896, Sir., 1899-2-202. [- L. Hugueney, note sous Civ. rej., 1er août 1910, sir., 1913-1-361,
montre bien, comme inspirée par des considérations d'utilité contingente, une décision, qui écarte la
subrogation réelle, dans un cas de révocation de la donation d'une somme d'argent affectée à la construction d'une chapelle.]
138. Voy. E. Glassos, Histoire du droit et des institutions de l'Angleterre, t. V, 1883, p. 504-505 ;
t. VI, 1883, p. 445, p. 521 et sq. - Si nous n'avons pas proprement de juridictions d'équité, certaines de
nos juridictions sont, en vertu de l'esprit de leur institution, plus particulièrement guidées par l'équité :
ainsi, les Conseils de prud'hommes.
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