Contextes - Le travail dans son droit - 146

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LE TRAVAIL DANS SoN DRoIT

Ewald dans une Note de la Fondation Saint-Simon. Cet ancien maoïste,
assistant de Michel Foucault au Collège de France, auteur d'une thèse sur
la construction historique du risque d'accident du travail, estime que le
droit du travail n'est pas un droit « véritable » étant donné son lien avec
le mouvement social. Il reproche par ailleurs à ce domaine du droit « de
s'enfler, de se compliquer » et d'être une discipline où les normes « prolifèrent ». Ce qui va devenir un topos du discours réformateur est donc porté
par un ancien militant gauchiste qui deviendra conseiller de la Fédération
française des sociétés d'assurance, et publié dans une Fondation qui a pour
originalité de réunir des intellectuels, des journalistes et des directeurs chefs
d'entreprise de droite comme de gauche, rassemblés autour d'une ambition
« réformatrice » et « modernisatrice ».
Mais le discours sur la nécessité de réformer le droit du travail émerge
véritablement au milieu des années 1990, avec le rapport de Jean Boissonnat7,
et, dans une moindre mesure, celui d'Alain Supiot8. Il prend toute sa force
à partir du milieu des années 2000, qui voient la floraison d'un nombre
étonnant de rapports ministériels dont les auteurs se donnent pour mission
de « simplifier » le droit du travail pour réformer le monde de l'entreprise
et les relations salariales. Ces formes discursives étonnamment homogènes
sont d'ailleurs homologues à celles qui émergent dans d'autres domaines
de l'action publique, que ce soit dans les politiques universitaires, dans les
politiques de santé9 ou, plus largement, concernant la réforme de l'État10.
In fine, on retrouve un même discours « crisologique » via la mise en scène
d'une « crise » nécessitant la mise sur l'agenda de politiques publiques destinées à la surmonter ; c'est aussi la même préoccupation de simplification de
la bureaucratie et d'allègement des charges (quelles qu'elles soient) pesant
sur les acteurs économiques. on est donc face à une même volonté de
« réformer » en rationalisant. Concernant le droit du travail, la dizaine de
rapports qui se succèdent dans les années 2000 et 2010 - à l'instar des lettres
de mission qui sont à leur origine - présentent tous le droit du travail
7. J. Boissonnat, Le travail dans vingt ans, Paris, o. Jacob/La Documentation française,
1995, 373 p.
8. A. Supiot, Au-delà de l'emploi : transformations du travail et devenir du droit du
travail en Europe, Paris, Flammarion, 1999, 321 p. De fait, ce serait sans doute faire un
procès d'intention que de rapprocher le rapport d'A. Supiot de celui de J. Boissonnat, dans
la mesure où le premier fait des propositions pour renforcer le droit du travail. Il reste que
cette version « de gauche » de la réforme du droit du travail sera reprise tout au long de la
période, et surtout lors des débats sur la loi El Khomri (loi que Supiot critique vivement
d'ailleurs), au nom de la nécessité de ne pas réserver le droit du travail aux salariés stables
et de la nécessité de le transformer pour empêcher sa disparition.
9. F. Pierru, Hippocrate malade de ses réformes, Bellecombe-en-Bauges, Éd. du croquant,
2007, 319 p.
10. P. Bezes, Réinventer l'État, op. cit.

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