Contextes - Le travail dans son droit - 178

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LE TRAVAIL DANS SoN DRoIT

de déconflictualisation du champ syndical depuis les années 1980. La
professionnalisation et la technicisation des syndicats conduiraient inéluctablement à la remise en cause des logiques agonistiques.
Cet avatar actuel de la théorie de la « loi d'airain de l'oligarchie » n'est
sans doute pas entièrement faux. Cela dit, il repose sur un double présupposé : d'une part le fait que l'activité professionnelle ne peut s'accompagner
de luttes sociales et que l'institutionnalisation a un effet mécanique
d'affaiblissement du conflit ; d'autre part que le droit qui est mis en œuvre
et qui est l'objet d'expertise est uniforme et utilisé de la même manière,
quels que soient les organisations et les militants syndicaux. or, l'ensemble
des travaux empiriques concernant l'activité syndicale, au niveau confédéral comme au niveau local, montrent que les choses sont beaucoup plus
compliquées : de la même manière que négociation et conflit (notamment la
grève) ne sont pas nécessairement antinomiques71, le droit peut être utilisé
par les organisations comme une « arme »72. Il n'y a donc pas nécessairement de solution de continuité entre des pratiques de conflictualité et une
activité juridique et judiciaire, mais au contraire, pour des conjonctures
données et selon les organisations, les individus et les espaces, une possibilité de « combinaison d'actions juridiques et d'arrêts de travail », et même
un renforcement mutuel des deux activités73.
Mais à l'inverse, donc, certaines conjonctures et le « sens syndical »
porté par certaines confédérations et par certains acteurs contribuent
à faire des usages du droit un puissant outil d'institutionnalisation. Les
efforts étatiques de transformation de l'action syndicale qu'on a analysés
au début du chapitre, conjugués à la spécificité de certains syndicats (que
ce soit par exemple la CFDT qui défend farouchement les logiques du
« dialogue social » ou la CFE-CGC qui porte une identité d'expertise74),
peuvent conduire à refaire ce lien entre juridicisation et institutionnalisation. Enfin, si l'on se place cette fois plutôt du côté de la sociologie du droit
et de la justice, on ne peut que mettre en évidence la force contraignante
d'un certain nombre de caractéristiques propres au droit et à l'activité juridique mêmes, et qui poussent à ces logiques d'institutionnalisation et de

71. B. Giraud, « Au-delà du déclin. Difficultés, rationalisation et réinvention du recours
à la grève dans les stratégies confédérales des syndicats », art. cit.
72. L. Israël, L'arme du droit, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009, 137 p.
73. S. Béroud, J.-M. Denis, G. Desage, et J. Pélisse, La lutte continue ?, op. cit., p. 133.
Sur la question de la place du droit dans les conflits du travail, cf. J. Pélisse, « Judiciarisation
ou juridicisation ? », Politix, 2009, n° 86, p. 73-96.
74. C. Delmas, « ‪Formation et identité syndicale à la CFE-CGC‪ », Travail et emploi,
2015, no 144, p. 31-59.
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