Contextes - Le travail dans son droit - 33

LA « LÉGALISATIoN » DU MoNDE DU TRAVAIL

ainsi créé en 1891 le Conseil supérieur du travail, composé de représentants
ouvriers, de représentants patronaux, de parlementaires et d'experts de la
question du travail (dont Raoul Jay, sur lequel nous reviendrons plus tard).
Ces représentants ouvriers sont en réalité des représentants des organisations syndicales ouvrières ayant accepté de jouer le jeu de l'État. Ils sont
associés, jusqu'en 1914, aux enquêtes de l'office du travail. Mais très vite,
la logique consultative ne suffit plus et, face au climat social très conflictuel
de l'après-guerre, l'État français organise en 1919 une commission qu'on
appellerait aujourd'hui paritaire pour discuter des clauses relatives au travail
dans le Traité de Versailles. C'est cette commission qui élabore le projet
de loi sur la journée de huit heures, votée quelques semaines plus tard au
Parlement40. Même si cette démarche de production d'un dialogue entre les
représentants des différents intérêts n'existera plus, jusqu'en 1936, que dans
des institutions de discussions (comme le Conseil national économique
créé en 1924), on voit ainsi comment s'invente cette forme particulière
de « dialogue social » propre à la France. Celui-ci convient à la fois aux
organisations syndicales, qui trouvent une place d'interlocuteur légitime
auprès de l'État, aux élites républicaines, soit qu'elles y voient le moyen
d'associer les classes populaires au gouvernement du pays, soit qu'elles le
considèrent, dans une perspective corporatiste, comme une manière de
renforcer le système parlementaire (voire de le remplacer) par de nouveaux
modes de représentation.

2. L'impossible contrôle ouvrier sur l'entreprise
Jacques Le Goff indique que cette politique de production du débat
social entraîne presque naturellement les organisations à une « association
au contrôle » des entreprises41. Ce lien ne se fait pourtant pas tout seul.
Avant 1936, la présence des organisations syndicales au sein même des
entreprises, qui doit donc être distinguée de la participation à la réflexion
sur le travail ou même à la production des règles au niveau national ou au
niveau des « branches » professionnelles, n'existe que dans certaines entreprises et dans certains secteurs d'activité42. En 1899, deux grèves agitent les
usines Schneider, au Creusot, qui constituent le plus grand établissement
industriel français. Les syndicalistes demandent des réunions périodiques
avec la direction, et obtiennent la création de délégués d'atelier, élus par
l'ensemble des salariés. Il en est de même pour les mineurs, qui, à travers
la loi de 1890, se voient reconnaître l'existence de délégués ouvriers à la
40. A. Chatriot, La démocratie sociale à la française, op. cit., p. 27.
41. J. Le Goff, « Syndicats-État (1880-1914) : un couple d'avenir », art. cit., p. 444-448.
42. Sur cette histoire, cf. J.-P. Le Crom, L'introuvable démocratie salariale : le droit de la
représentation du personnel dans l'entreprise, 1890-2002, Paris, Éd. Syllepse, 2003, p. 12-21.

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