Contextes - Le travail dans son droit - 60

LE TRAVAIL DANS SoN DRoIT

B. Le patronat saisi par le droit
Comme on le sait, les premières formes d'organisation patronale naissent
en réaction à l'émergence du syndicalisme ouvrier, au début du xxe siècle.
Elles se définissent principalement par une idéologie libérale - qu'on appelle
à l'époque « manchesterienne » - rejetant toute forme de régulation juridique
du monde du travail. La résistance patronale à l'interventionnisme étatique est
d'ailleurs d'autant plus forte que les organisations en gestation promeuvent
d'autres formes de protection des salariés et de régulation des conflits du
travail, qui passent en particulier par des corporations (en l'occurrence des
syndicats professionnels réunissant salariés et employeurs) ou par la mise en
œuvre par l'employeur de règles inhérentes au christianisme social99.
Certains groupes prennent néanmoins conscience de la nécessité de se
défendre contre les organisations syndicales en utilisant les armes de celles-ci,
et en particulier les pratiques juridiques et judiciaires. Malgré la faiblesse de
la littérature scientifique sur ces questions et la sous-exploitation des archives
des organisations patronales, avant 1945, certains éléments permettent de
penser que l'activité juridique a pu être prise en charge, certes de manière très
éparse et très éclatée, par une poignée d'acteurs proches du monde patronal,
plutôt que par des représentants d'organisations à proprement parler100. La
première trace d'activité juridique est une revue, publiée pour la première fois
en janvier 1904 par A. Portier, qui se qualifie d'« expert près la Justice de Paix
du 12e arrondissement et Défenseur au tribunal de Commerce de la Seine ».
Cette revue s'appelle Bulletin de la jurisprudence des conseils de prud'hommes
et des accidents du travail, et l'auteur s'explique sur ses ambitions dans une
« simple préface : notre raison d'être, notre programme » :
« Le nombre des affaires auxquelles j'ai assisté ; des jugements qu'il m'a
été donné d'obtenir, et qui ont contribué, récemment encore, à fixer la
jurisprudence, m'ont forcément amené à cette conclusion qu'il existait une
lacune à combler, des services à rendre dans le monde des affaires en général
et dans le milieu industriel en particulier [...]
Si les maisons industrielles restent sans défense en face de revendications
spécieuses, d'exigences sortant complètement des traditions, s'écartant du
bon sens, du droit réciproque et de la Justice, elles sont exposées à se voir
menacées quotidiennement dans l'autorité légitime qui leur est indispensable pour la conduite de leurs travaux. »101
99. M.-G. Dezès, « L'émergence du "partenaire social" patronal en France (1860-1919) »,
in J.-P. Le Crom (dir.), Les acteurs de l'histoire du droit du travail, op. cit., p. 271-284.
100. Comme c'est le cas pour les organisations syndicales ouvrières, le préalable à la mise
en œuvre d'une stratégie juridique, ou même l'usage des outils du droit et de la justice,
présupposent une certaine taille et un certain niveau d'organisation, que les organisations
patronales n'auront pas avant 1936.
101. Bulletin de la jurisprudence des conseils de prud'hommes et des accidents du travail,
n° 1, janv. 2004, p. 4-5.

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