Contextes - Le travail dans son droit - 64

LE TRAVAIL DANS SoN DRoIT

en termes quantitatifs, ces professeurs vont largement structurer le débat,
au moins jusque dans les années 1970. Cet enjeu majeur vient percuter la
seconde thématique centrale, qui émergeait lors de la période précédente : le
caractère collectif du droit de la législation industrielle. Comme on le verra,
c'est d'ailleurs autour de cette question que s'organisent la réflexion et les
débats sur la manière de nommer cette législation. Dans les années 1930, le
corporatisme et le personnalisme s'en saisissent. L'effondrement du régime
de Vichy après 1944 conduit à l'émergence d'une nouvelle solution, institutionnaliste, autour de Paul Durand et de la revue Droit social, créée en
1938. Ce sont donc deux conceptions d'un droit du travail collectif qui se
déploient tout au long de ces décennies1, mais - et c'est le paradoxe - sans
que la place du droit du travail dans le domaine du droit privé, donc individualiste, ne soit jamais vraiment remise en question.
on comprend ainsi que cette période est assez homogène pour le
droit du travail, par-delà les changements de régime et les transformations de la société française. Nous avons choisi d'arrêter ce chapitre à la
fin des années 1960, à la veille de mai 1968, contrairement à l'ouvrage de
Jacques Le Goff, qui clôt la troisième partie de son ouvrage en 1980. Si
l'on peut s'accorder avec lui sur le fait que les années 1970 constituent
l'apogée de « l'accès de la société française à la modernité », tant sur le plan
économique que sur le plan social, il semble plus pertinent de suivre le
découpage chronologique de Robert Castel, qui montre de quelle manière
la « société salariale » se lézarde dès le début des années 1970, et qu'elle est
d'ailleurs très largement inachevée et fragile au sortir des Trente Glorieuses :
l'émergence dès 1975 des problématiques liées au chômage de masse et
à l'exclusion, et qui structurent jusqu'à aujourd'hui l'ensemble des discours
et des actions concernant le monde du travail, illustre la nécessité de clore
la période à 1968. Par ailleurs, si l'on se déplace dans l'espace académique,
les années 1970 marquent véritablement une césure, dans la mesure où
les bouleversements structurels de l'Université (en particulier la démocratisation de l'enseignement supérieur) et le développement des normes
juridiques encadrant le travail (qui datent précisément des années 1940 à
1960, puis des suites du mouvement de mai 68) contribuent à l'émergence
d'une nouvelle génération d'étudiants puis d'enseignants-chercheurs en
droit du travail. Plus politisés à gauche et plus proches des organisations
syndicales majoritaires, mais constituant aussi, du fait de leur nombre, un
groupe pouvant revendiquer une plus grande place à l'Université, ils sont
les acteurs principaux de l'institutionnalisation du droit du travail comme
une « sous-discipline » à part entière. Enfin, sur le plan syndical aussi, la
1. A.-S. Chambost, « Les illusions perdues de l'autonomie du droit du travail », in
A.-S. Chambost et A. Mages (dir.), La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels, op. cit., p. 149-166.

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