Contextes - Le travail dans son droit - 79

LE DRoIT DU TRAVAIL

sert de ciment matériel »31. Ces arguments font penser - même s'il est peu
probable qu'ils y trouvent leur inspiration - aux travaux du sociologue
Maurice Halbwachs, qui soutient en 1912 une thèse sur « La classe ouvrière
et les niveaux de vie », dans laquelle il relie conditions de travail, salariat et
spécificité du type de consommation pour prouver l'existence de la classe
ouvrière en tant que classe32. Cette sociodicée classiste, qui n'est pas pour
autant véritablement marxiste, traverse l'ensemble de la société française
dans l'entre-deux-guerres et se diffuse logiquement aux entrepreneurs de
normes juridiques encadrant le monde du travail.
Mais cette perspective est inacceptable dans un monde des facultés de
droit d'abord préoccupé par la défense de l'ordre social. Comme nous
l'avons montré, l'essor de la législation industrielle avait pour objectifs,
à la fois sociaux-chrétiens et conservateurs, de concilier les impératifs de
conservation sociale avec l'exigence d'amélioration des conditions de vie et
de travail des catégories populaires. C'est dans cette perspective qu'émerge
le terme de « droit du travail », dont la généalogie est extrêmement révélatrice. Dans une chronique Dalloz de 1941, Paul Durand publie ce qui
est à notre connaissance le premier article de doctrine utilisant le terme de
« droit du travail ». Dans cet article, intitulé « Une orientation nouvelle du
droit du travail : l'ordre économique et le droit du travail », qui se veut une
défense plutôt vigoureuse de la Charte du travail, et plus largement de la
politique de l'État français en termes de politiques du travail33, Durand cite
un article de François Perroux publié en 1936 dans la revue Esprit34. Il faut
rappeler que François Perroux est un économiste de renom, qui terminera
sa carrière au Collège de France après avoir défendu la Révolution nationale
et participé à la Fondation Alexis Carrel. Le premier poste qu'il a occupé
à la faculté de Lyon, avant d'obtenir un poste à Paris en 1937, était une
chaire de « Législation et économie industrielle et rurale ». Il est surtout
l'un des fondateurs d'Esprit en 1932, puis en 1940 de l'École des cadres
d'Uriage. Dans le dossier d'un numéro de la revue publié en 1936, intitulé
« Les problèmes ouvriers devant le paternalisme », il publie le texte cité par
Paul Durand. L'objet de l'article est de faire du droit du travail le cœur du
projet personnaliste : ni capitaliste, ni socialiste, ni nourri d'individualisme,
31. Ibid.
32. M. Halbwachs, Le destin de la classe ouvrière, Paris, PUF, 2011. Il écrit ainsi : « la
formation et l'accroissement de groupes ouvriers étendus et homogènes, leur organisation
en vue de discuter des conditions de travail, les expériences de grèves ou d'ententes avec
les patrons, à l'occasion desquelles toute une conception de la production industrielle, des
rapports entre ouvriers et employeurs, et enfin du salaire s'est dégagée dans la conscience
des groupes, l'ont préparée à reconnaître son unité. » (p. 111).
33. Chronique, p. 29.
34. F. Perroux, « La personne ouvrière et le droit du travail », Esprit, 1936, no 3, p. 866-897.
Les soulignements sont de l'auteur.

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