Contextes - Le travail dans son droit - 81

LE DRoIT DU TRAVAIL

intellectuels et des revues « non conformistes »37, de renvoyer dos à dos le
capitalisme et le socialisme ; comme l'écrit Jean-Louis Loubet Del Bayle,
« si la critique du capitalisme développée par les mouvements de jeunes
des années 1930 (...) pouvait, par ses aspects économiques et sociaux,
se rapprocher, dans une certaine mesure, des critiques marxistes, elle en
différait nettement par ses orientations spiritualistes »38, et pourrions-nous
ajouter, par sa valorisation de l'hitlérisme.
Plus largement, et au-delà de son insertion dans une conjoncture intellectuelle et politique très particulière, cette tentative de produire une
philosophie du droit du travail renvoie à « l'institutionnalisme » de Maurice
Hauriou, que cite d'ailleurs Perroux à la fin de son article. Comme ce
dernier, il s'agit de produire une ontologie appuyée sur des constructions
juridiques, ontologie profondément conservatrice et anti-collectiviste dont
Guillaume Sacriste reconstitue la généalogie au début du xxe siècle, quand
Hauriou essayait de construire en même temps un système sociologique
anti-durkheimien et alternatif au modèle républicain39. La présence de
l'expression « classe ouvrière » et la critique virulente du capitalisme individualisé ne doivent donc pas tromper, et ce droit du travail ainsi défendu
est profondément conservateur. Quand Paul Durand utilise l'expression,
c'est ce sens-là qu'il a acquis et c'est cette tradition institutionnaliste et
corporative qu'il nourrit.
Paul Durand va donc fixer le syntagme avec l'aide d'André Rouast dans
leur Précis publié chez Dalloz. Le titre en est particulièrement stratégique,
et ce de deux manières : c'est un Précis de législation industrielle, conformément au nom de la matière enseignée et donc aux attentes des étudiants,
mais est accolée à cette formulation l'expression droit du travail entre parenthèses. Dans l'introduction de l'ouvrage, les auteurs indiquent ainsi :
« d'autres dénominations ont été proposées. La meilleure est celle de
droit du travail. Elle a l'inconvénient d'être un peu large au regard de la
langue courante ; mais la langue juridique lui confère l'acception précise de
droit du travail subordonné. Tel est le sens que lui a donné le législateur
quand il a procédé à la réunion de textes législatifs dans un Code du travail. »

Le terme permet alors de proposer une synthèse entre d'une part une
logique individualiste, conforme à son appartenance au droit civil, et d'autre
part une logique collective, dans la lignée de la production d'acteurs et de
normes collectifs ainsi que dans le prolongement de l'évolution du cadre
idéologique des élites vers le corporatisme. on voit au passage combien ces
37. J.-L. Loubet del Bayle, Les non-conformistes des années 30, op. cit.
38. Ibid., p. 239.
39. G. Sacriste, « L'ontologie politique de Maurice Hauriou », Droit et société, 2011,
no 78, p. 475-480.

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