Bibliothèque de droit privé - Le fiduciaire défaillant - Tome 563 - 101

NATURE DES DROITS DES PARTIES À L'OPÉRATION DE FIDUCIE

83

transfert de propriété est, historiquement et par essence, inhérent à l'opération de
fiducie. D'un point de vue historique, la fiducia romaine était avant tout un transfert de propriété, puisque le pactum fiduciae qui lui était adjoint et qui justifiait les
obligations de l'acquéreur n'avait pas, du moins dans les premiers temps, de valeur
reconnue en droit71. De même, les institutions fiduciaires qui ont survécu à la
disparition de la fiducia et qui ont fait leur place dans l'Ancien droit français - le
fidéicommis et les substitutions fidéicommissaires - fonctionnaient grâce au
mécanisme du transfert de propriété à un tiers, à charge pour ce dernier de retransmettre les biens aux héritiers finaux en temps voulu72. Parallèlement, les uses puis
le trust du droit anglais furent construits sur un modèle similaire, impliquant un
transfert juridique de la propriété légale des biens, accompagné d'une contrelettre mettant à la charge du trustee un certain nombre d'obligations73. Aujourd'hui
encore, on constate en droit comparé que les fiducies modernes des pays de droit
civil fondent quasi unanimement leurs mécanismes fiduciaires sur la transmission
de propriété74.
184. Attrait d'une institution fondée sur un transfert de propriété. D'ailleurs,
l'introduction de la fiducie dans notre droit résulte de la nécessité de disposer
d'une technique juridique fondée sur la propriété pour réaliser différentes sortes
d'opérations75. D'une part, l'utilisation de la propriété permet de dynamiser la
gestion de patrimoine, en conférant au gérant les pouvoirs le plus étendus sur les
biens et en écartant toute ingérence intempestive du géré, qui pourrait nuire malgré lui à la réussite de l'opération76. D'autre part, l'utilisation de la propriété
71. V. supra, nos 9 et ss. Adde, P.-F. GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, Rousseau,
1906, p. 465.
72. C. WITZ, th. préc., n° 29 et ss.
73. V. supra, nos 18 et ss. Adde, A.H. OOSTERHOFF, R. CHAMBERS, M. MCINNES et
L. SMITH, Oosterhoff on Trusts : Text, Commentary and Materials, Thomson Carswell, 6e éd., 2004,
p. 6 et ss. Observons néanmoins de nouveau que le beneficiary acquiert alors un droit d'equitable
ownership.
74. Cf. C. WITZ, « Les traits essentiels de la fiducie et du trust en Europe », in La fiducie et ses
applications dans plusieurs pays européens, Colloque organisé par le Centre d'études juridiques françaises le 29 nov. 1990, Bull. Joly, n° 4 bis, 1991, p. 9, spéc. p. 10. Parmi les exceptions, on trouve notamment le Québec, qui a choisi la théorie du patrimoine fiduciaire sans propriétaire (C . civ. Qc.,
L.Q., 1991, c. 64. art. 1260 et ss.) ou encore probablement, quoique la question ne soit pas tranchée, le
Liban : Loi n° 520 du 6 juin 1996, JO du Liban n° 24/96, art. 3 qui donne seulement au fiduciaire « le
droit de gérer et de disposer de droits ou de biens mobiliers lui revenant » ; pour une interprétation
tendant à exclure le transfert de propriété dans la fiducie libanaise, A. B. EL-DAYE, La fiducie en droit
privé libanais, préf. C. WITZ, Presses univ. de Strasbourg, 2008.
75. Exposé des motifs de la proposition de loi instituant la fiducie, n° 178 (2004-2005),
Ph. MARINI, déposée au Sénat le 8 fév. 2005, publiée sur le site du Sénat, p. 1 : « Le code civil ne
prévoit ni ne régit d'institution équivalente au 'trust' des pays de droit anglo-américain qui permet, en
particulier, à une personne, le constituant (settlor), de transférer la propriété de droits lui appartenant
à un 'trustee', afin de les administrer, non dans l'intérêt propre de ce trustee mais pour réaliser un objet
déterminé ».
76. L. KACZMAREK, « Propriété fiduciaire et droits des intervenants à l'opération », D. 2009.
1845, n° 12 : « La reconnaissance d'un transfert de propriété s'avère essentielle pour la compréhension
de l'institution fiduciaire. Elle permet sa pleine efficacité en tant que sûreté ou technique de gestion ».
Pour une étude très complète sur l'influence de la technique juridique choisie au regard du dynamisme
de la gestion, B. BALIVET, th. préc., n° 342 et ss., p. 275 et ss. Adde, F. ZENATI-CASTAING et
Th. REVET, op. cit., n° 263, p. 419 et s. ; M. GRIMALDI, « La fiducie : réflexions sur l'institution et
sur l'avant-projet de loi qui la consacre, première partie », art. préc., p. 897 et, pour une comparaison
avec le mandat, p. 901 : le mandataire « aspire à une gestion, non pas seulement durable - ce qu'il peut
obtenir d'une clause d'irrévocabilité, mais aussi exclusive, et non point concurrente avec celle du propriétaire. Or un mandat, même irrévocable, ne prive jamais le mandant du pouvoir d'accomplir
http://www.74.Cf
Bibliothèque de droit privé - Le fiduciaire défaillant - Tome 563

Table des matières de la publication Bibliothèque de droit privé - Le fiduciaire défaillant - Tome 563
