Grands Colloques - Droit et surnaturel - 101

TROIS SIÈCLES APRÈS SALEM

procès ont lieu, où l'on recourt à la torture. Des aveux sont extorqués et
des exécutions barbares et sommaires sont commises. Au cours des siècles,
de très nombreuses analyses ont été menées concernant cet événement
marquant de l'histoire américaine26, qu'il serait vain de tenter de synthétiser. On ne peut toutefois qu'être frappé par les traces encore profondes
et vivaces laissées par cet épisode en droit américain contemporain. Trois
siècles après Salem, l'affaire demeure un traumatisme pour de nombreux
juristes aux États-Unis. Elle représente l'archétype du procès partial et des
méthodes barbares et antiscientifiques27. Les avocats américains brandissent
parfois ce souvenir, notamment dans les affaires sensibles d'abus sur des
mineurs28. De même, les juridictions n'hésitent pas à évoquer Salem pour
rappeler combien les témoignages d'enfants doivent être appréciés avec
prudence ou lorsque des accusations de sorcellerie sont encore portées
par certains plaideurs29.
De façon plus positive, l'affaire des sorcières de Salem a sans doute aussi
permis de faire évoluer la procédure pénale dans le sens du progrès30. Quant
aux pratiquants des arts occultes, le droit américain a adopté une attitude
beaucoup plus tolérante en réaction aux abus commis31. À l'instar d'autres
minorités, les sorciers et sorcières ont certainement profité du mouvement
d'affirmation des Civil Rights et des avancées jurisprudentielles importantes fondées sur le premier amendement de la Constitution fédérale des
États-Unis. On dénombrerait ainsi aujourd'hui plus d'un millier d'églises
de sorcellerie et presque un million de personnes se livrant à des cultes
reposant sur des croyances liées à la sorcellerie ou au paganisme. Signe
que la pratique de la sorcellerie souffre toutefois encore de sa réputation
sulfureuse, le terme est souvent remplacé par celui plus neutre de « Wicca »,
c'est-à-dire la croyance en l'existence de forces occultes ou de la magie32.
26. Sur cet épisode perçu comme une date clef dans l'histoire américaine, v. E. Baker, A
Storm of Witchcraft - The Salem Trials and the American Experience, Oxford Univ. Press,
2014.
27. F. Grinnell, "Obscuring American History: Reversing the Salem Witchcraft
Convictions", American Bar Association J., 1957, vol. 43, p. 997 et s.
28. V. par ex. United States v. Bighead, U.S. Court of Appems, 9th Cir., 128 F.3d 1329
(1997).
29. V. par ex. Com. v. Giovanetti, 341 Pa. 345, 19 A.2d 119, Pa. (1941).
30. K. O'Kelly, "The Evidence of Things Unseen: The Legal World of the Salem Witch
Trials", Experience - American Bar Association, 2006, vol. 16, n° 4.
31. Pour une vision d'ensemble des droits européen et américain : D. McKenna,
"Witchcraft, An Obsolete Crime", Marquette L. Rev., 1928-1929, p. 18 et s.
32. Le mot « Wicca » dériverait d'ailleurs du mot « witchcraft » (sorcellerie, en anglais) et
il est souvent employé comme synonyme de ce dernier. Selon la jurisprudence, "Wicca is a
polytheistic faith based on beliefs that prevailed in both the Old World and the New World
before Christianity. Its practices include the use of herbal magic and benign witchcraft" :
O'Bryan v. Bureau of Prisons, 349 F.3d 399, 400 (7th Cir.2003).

Grands Colloques - Droit et surnaturel

Table des matières de la publication Grands Colloques - Droit et surnaturel