Grands Colloques - Droit et surnaturel - 110

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DROIT ET SURNATUREL

les juges61. De même, la lecture de certains arrêts révèle l'existence d'un
commerce de la vente de sorts magiques sur Internet, version moderne et
électronique des philtres d'amour62. En parcourant la toile, on découvre
alors de nombreux sites de sorcières autoproclamées, qui prêchent au
nom de l'école de la Wicca, du paganisme ou autre et qui, parallèlement,
échangent contre une rémunération leurs services en ligne. Une sorcière très
réputée vend ainsi ses charmes magiques, accessibles en quelques clics, à des
prix relativement élevés63. Un regard porté sur les mentions légales indique
que ces sites sont hébergés aux États-Unis et qu'ils se voient appliquer le
droit américain. Il y a bien sûr toute une partie consacrée aux contrats
et aux éventuels échecs du sort magique : les sorciers sont sans doute
conseillés par de bons avocats, puisqu'il est souvent prévu des limitations
du plafond d'indemnisation ou des clauses de non-responsabilité. Il est
difficile d'évaluer l'efficacité de ces stipulations dans un tel contexte, mais
on ne relève pas de contentieux relatif à des poursuites de clients mécontents, agissant civilement contre une sorcière n'ayant pas tenu sa promesse.
Il existe en revanche un contentieux plus nourri concernant l'activité
payante de divination, de cartomancie ou d'astrologie, lorsque celles-ci
sont implantées physiquement dans les villes. Ces activités sont souvent
très mal perçues par les municipalités américaines accueillant ce type de
boutiques. L'argument récurrent opposé à leur implantation évoque une
nouvelle fois Salem : il s'agirait d'activités sataniques ou antichrétiennes64.
À plusieurs reprises, la jurisprudence a considéré que de tels refus violaient
la loi fédérale lorsqu'ils étaient fondés sur des motifs « arbitraires et capricieux »65. Dans ce type de contentieux, la Constitution vient souvent au
secours de l'activité commerciale des sorciers et autres médiums.
Dans une affaire Argello v. City of Lincoln de 1998, la municipalité de
Lincoln avait adopté un règlement visant à interdire la pratique payante
de la bonne aventure et de la divination. L'affaire connut son dénouement
devant la cour d'appel du 8e circuit66. Les juges décidèrent que le réglement
était contraire au premier amendement de la Constitution. Ici, ce n'était
pas uniquement le volet « liberté de religion » du texte qui servit de
fondement, mais aussi le volet « liberté d'expression ». Selon la cour, en
effet, le règlement municipal restreignait la liberté l'expression des citoyens.
Or, seules des raisons impérieuses autorisent les autorités à limiter une telle
61. Marks v. City of Chesapeake, 883 F.2d 308, C.A.4, Va. (1989).
62. State v. Mendola, 160 N.H. 550, 8 A.3d 127, N.H. (2010).
63. Par exemple, la réussite au travail ou en amour est tarifée à 120 dollars.
64. V. par ex. Marks v. City of Chesapeake, préc. ; Max Verbier v. City of The Shire, 772
F. Supp. 1335 (E.D.N.Y.1991).
65. Marks v. City of Chesapeake, préc.
66. Argello v. City of Lincoln, 143 F.3d 1152, (8th Cir.1998).

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