Hors collection - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 136

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LeS ALLeMANDS eT LeS FRANçAIS

parfois en plusieurs temps, pour faire différents cours (avec beaucoup plus
d'heures d'enseignement qu'en France, du fait de l'absence d'examens),
changeaient fréquemment de faculté, voire d'intérêt pour telle ou telle
partie du droit.
C'est dans ce contexte que l'École historique du droit diffusa, sans
jamais avoir le monopole, l'idée d'une Rechtswissenschaft, d'une science
du droit fondée sur l'étude de l'histoire (du droit romain et, pour certains,
du droit allemand) et divisée en « régions » ou « disciplines » avec, dans les
encyclopédies juridiques, une répartition en trois ou quatre blocs : droit
privé, droit public (réunis, on l'a vu, par Bluhme et Walter dans le « droit
en Allemagne », ce qui incluait le droit romain), Kirchenrecht et droit des
gens (dans une position subordonnée, mais avec une reconnaissance qui
leur manquait en France).
Dans la seconde moitié du xixe siècle, la spécialisation ne résulta pas,
comme en France, de programmes imposés ou de modifications des
modes de recrutement, mais des orientations spontanées des professeurs
(toujours formés avec une solide base de droit romain et de droit privé)
vers le droit pénal (qui avait en Allemagne deux fois plus de professeurs
qu'en France19), le droit commercial (le mouvement fut initié par Thöl
à la fin des années 1840 et poursuivi par Goldschmidt à partir de la fin
des années 1860), plus tard vers le droit administratif (avec une première
chaire spécifiquement dédiée à cette matière en Prusse en 188120) et le
droit international (dans les années 1890, un peu plus tard qu'en France,
de même que pour le droit du travail, pour lequel les chaires spécialisées
n'apparaissent que dans les années 1920). Le principal effet de la mise en
vigueur du BGB en 1900 fut de faire du droit romain et de l'histoire du
droit allemand des disciplines spécialisées et non plus la base de l'enseignement du droit désormais occupée par le Code civil.
Sans aucun phénomène comparable à l'agrégation et à son sectionnement, le corps professoral allemand, formé d'environ 150 professeurs
ordinaires dans vingt facultés vers 1900, restait unifié et la répartition entre
« disciplines », définies par leur objet mais aussi par leurs concepts propres,
se faisait à travers les enseignements, les séminaires (développés à partir
des années 1850), les revues spécialisées (par exemple, en droit commercial
à partir de 1858, en droit public à partir de 1885, en droit international
19. S. Kesper-Biermann, Einheit und Recht. Strafgesetzbuch und Kriminalrechtsexperten
in Deutschland von Beginn des 19 Jahrhunderts bis zum Reichsstrafgesetzbuch 1871,
Klostermann, 2009, p. 58 évalue le nombre des professeurs de droit pénal en Allemagne
à une trentaine par génération dans la période 1780-1870. Les chiffres français étaient deux
fois moins importants.
20. M. Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), trad. fr. M.-A. Maillet
et M.-A. Roy, Dalloz, 2014, p. 556.
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