Hors collection - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 257

RÉMY LIBCHABeR

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Voilà ce que l'on peut identifier comme le droit civil, dans son étendue
matérielle : un droit des relations entre personnes privées, qui présente deux
caractéristiques du point de vue de la réglementation.
D'abord, par tradition romaine comme depuis la Révolution, le droit
civil s'applique à des intervenants indifférenciés, à des citoyens dont il
exprime l'égalité en droit : il est un droit de principe, destiné à organiser
les principes généraux de la régulation. D'où une indifférence à la singularité, qui se retrouve à trois niveaux. Dans l'absence de spécialité dans
la saisie de l'individu : l'homme du droit civil n'est pas un professionnel,
mais un citoyen ; c'est le membre indifférencié d'une société, abstraction
faite de toute spécificité qui viendrait colorer son statut. Ce n'est pas par
hasard que l'un des grands traités du xxe siècle fasse figurer en tête de
la description des personnes le principe d'égalité, enté sur l'article 8 du
Code : « tout français jouira des droits civils »17. À quoi s'ajoute que les
biens sont également envisagés de façon générale. S'ils sont tous "meubles
ou immeubles", selon la désespérante pauvreté de l'article 516, ils restent
saisis par un droit largement uniforme qui essaie de faire l'impasse sur
leurs contours précis. Aucune naïveté là-dedans : on a toujours su que
des choses dissemblables pouvaient appeler un régime différencié, que
la jurisprudence et des règlements de détail viendront constituer en cas
de besoin. L'effort du droit civil est précisément de « recouvrir le monde
bariolé des choses d'un uniforme capuchon gris, la notion de bien, cette
abstraction »18. Il en va de même pour les liens entre les personnes, que
le Code décrit toujours de façon générique, avant d'en présenter certaines
applications : la description générale des contrats précède la diversité des
contrats spéciaux ; l'article 1370 ouvre sur la responsabilité comme sur les
quasi-contrats, dont les réglementations de détail viennent après.
ensuite, au moins dans le droit civil que l'on connaît depuis 1804, on
constate un certain libéralisme dans les liens qui sont tissés entre ces intervenants abstraits, qui n'intéressent pas le pouvoir. Ce qui signifie que pour
ce qui les concerne, la réglementation est longtemps demeurée légère - au
moins tant que la vocation du droit n'a pas été de pénétrer partout. Cette
réglementation se contentait de poser quelques contraintes essentielles à la
caractérisation des relations. Pour le surplus, les individus demeuraient
libres de s'organiser comme ils l'entendaient : c'était leur affaire ! À bien
des égards, le droit civil que nous avons longtemps connu était un droit
17. Ripert et Boulanger, op. cit., n° 390, p. 185. Le bref commentaire de l'article est très
instructif : « il ne s'ensuit pas qu'une règle juridique ne puisse pas déterminer les catégories
de personnes qui seront soumises aux règles qu'elle édicte... Toutes les fois que ce principe
n'est pas respecté, on peut affirmer que la loi a un certain caractère politique ». elle sort
ainsi du droit civil stricto sensu.
18. J. Carbonnier, Droit civil, t. 2, 1re éd., PuF Quadrige, 2004, n° 707, p. 1592.

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