Hors collection - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 262

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Le DÉPÉRISSeMeNT Du DRoIT CIVIL

une deuxième technique régulatrice se révèle moins radicale, qui respecte
en apparence l'empire du droit civil tout en subvertissant son intervention.
Moins apparent, le résultat est peut-être plus préoccupant en ce qu'il laisse
au droit privé une fonction de principe, qui se révèle à l'examen n'être qu'un
trompe-l'œil. en apparence, il continue de gouverner certains domaines,
alors que les décisions y sont en réalité dictées par des considérations extérieures. La force du droit civil est exténuée, quoique les apparences soient
sauves : cela signifie aussi bien que les ressorts réglementaires les plus efficaces sont dissimulés, ce qui laisse songeur quant à la pureté des intentions
à l'œuvre...
Dans ce cas, le principe d'intervention consiste à jouer sur des branches
du droit accessoires, qui auront un impact déterminant sur les relations des
personnes privées, de sorte que la règle civile s'en trouve marginalisée -
sans même que l'on ait besoin de la désactiver. elle continue d'exister, sans
plus guider des conduites qui sont souterrainement dictées par d'autres
considérations. Pour évoquer cette façon de faire subtile mais perverse,
on partira de la technique accessoire pour remonter à son impact. À l'évidence, le droit fiscal est l'une des branches les plus utiles à cet égard : dans
un pays à taxations multiples et lourdes, il suffit de jouer sur la répartition
des prélèvements et des taux pour obtenir des effets immédiats sur les
relations substantielles. C'est d'ailleurs par cette façon de procéder que le
droit patrimonial de la famille s'est trouvé quelque peu vidé de sa substance. Dans les cas extrêmes, certains choix fiscaux aboutissent à scléroser
toute une institution : la clause de tontine, par exemple, a été presque mise
à mort par la décision de traiter l'accroissement comme une donation. en
sens inverse, la suppression des droits de mutation entre époux a réduit
à presque rien la question autrefois décisive des avantages matrimoniaux
dans le cadre de la communauté conjugale - ce qui pourrait aboutir à mettre
en péril la survie des régimes de communauté27. Dans des cas plus légers,
corriger des situations malsaines. on aimerait en être certain... Car pour d'autres, peu
nombreux en France car le collectivisme y est très avancé, jusque dans les esprits, l'État
agit d'abord pour lui-même, pour accroître son empire et resserrer son emprise. Comme
tout pouvoir, il tend à l'absolutisme en évinçant les rivaux qui pourraient le concurrencer,
pour exercer une domination de plus en plus totale. Le droit fiscal serait une assez bonne
illustration de cette dérive : non content d'avoir ruiné le pays par une gestion des Finances
publiques qui relève de son seul pouvoir, l'État s'institue désormais défenseur de l'intérêt
public pour prélever à sa guise dans toute poche disponible, sans autres justifications que le
constat hâtivement dressé de l'existence de besoins - qu'il a d'ailleurs commencé par créer.
27. Le régime de communauté est une organisation forgée par le temps et les contraintes,
d'une subtilité qu'aucun esprit n'aurait pu concevoir (R. Libchaber, « Les incertitudes de la
notion de communauté », Mél. G. Champenois, Defrénois, 2012, p. 583). Combien de temps
la technocratie juridique tolérera-t-elle cet instrument baroque dont elle ne comprend pas
bien les ressorts, avant d'imposer à la place une indivision sur le modèle du pacs, pourtant
bien moins performante ?

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