Contextes - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 353

BeNoIT FRYDMAN

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radicalement le monopole que les États souverains avaient réussi à se
conférer à eux-mêmes, dans le courant du xixe  siècle, sur l'élaboration,
l'application et l'exécution des principales règles de droit. De ce point de
vue, le concept de « droit global » s'oppose aux principes fondateurs du
droit international public, tout comme ce même droit international s'était
opposé lui-même, victorieusement d'ailleurs, à ceux du droit de la nature
et des gens. Le contexte est favorable et son heure peut-être venue. Il remet
en cause le concept même de souveraineté que les réalités de la pratique
du droit ont vidé peu à peu de sa substance. Il participe à la réflexion
sur la refondation du droit international privé, dont les principes ont été
complètement subvertis par le libre jeu des actions opportunistes en milieu
global. Dans sa conception pragmatique, il remet en cause la primauté des
concepts fondamentaux d'ordre juridique et de sources du droit auxquels
il tente de substituer d'autres logiques48. Il ébranle ainsi le soutènement
du tracé entre droit et non-droit que la théorie du droit classique avait
pour fonction de garder, en intégrant d'autres formes de normativités,
de nouvelles institutions et des dispositifs opératoires de mise en œuvre
et d'exécution qui montent en puissance et concurrencent les règles et les
institutions juridiques classiques.
Si on ne peut que deviner, de manière incertaine, ce que le paradigme
du « global » apportera de nouveau à la théorie et à la pratique du droit, il
devient difficile de soutenir que les changements considérables qui affectent,
sur les plans politique, économique, social et bien sûr technologique, notre
environnement et que l'on désigne sous le terme commode et vague de
« mondialisation » et de « globalisation » n'appelleront pas des transformations ou des évolutions considérables dans les institutions et les règles du
droit, y compris au niveau de l'organisation des savoirs. Si bien que ce n'est
pas faire preuve d'une trop grande audace que d'entrevoir, dans les débats
très vifs et houleux, notamment idéologiques et politiques, qui mobilisent
intensivement la philosophie du droit et la doctrine, les prémices d'une
nouvelle discipline en gestation. Le défaut d'unité dans l'appellation et la
définition, la manque de précision quant aux objets et au champ investi, la
nouveauté des programmes d'enseignement et de recherches et des structures qui les abritent ne doivent pas inquiéter outre mesure à cet égard. Car,
au contraire de plusieurs auteurs qui se penchent sur ces questions, je ne
pense pas que l'univocité de la définition, la rigueur des notions et la délimitation du corpus soient des conditions ni même des signes de l'émergence
d'une discipline nouvelle. Je pense plutôt, de manière pragmatique, qu'ils en
sont bien davantage la conséquence. Ainsi le droit global, inexistant ou très
contesté aujourd'hui, se fera-t-il peut-être, dans la lutte, sa place au soleil
48. « Comment penser le droit global », op. cit., p. 21 et s.
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