Hors collection - Qu'est-ce qu'une discipline juridique ? - 61

JACQueS CHeVALLIeR

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contradictions éventuelles qu'ils recèlent ; et cette interprétation, même
si elle n'est pas « authentique », a bel et bien une force créative, en contribuant à fixer le sens de la norme. Au-delà de ce travail d'interprétation, la
doctrine contribue encore à la production de la normativité juridique, par
un effort de systématisation, visant à établir les chaînons indispensables
entre les productions juridiques et à dégager des principes sous-jacents,
par l'élaboration de nouvelles représentations, qui contribuent à faire
évoluer la réalité juridique, ou encore par la participation plus directe aux
processus d'élaboration des textes. Les disciplines juridiques ne sauraient
par ailleurs être envisagées sans prise en compte de la position occupée en
leur sein par cet acteur juridique à part entière qu'est le juge : c'est ainsi
en reproduisant le « modèle de juridicité » hérité du droit administratif,
modèle conférant un poids particulier à la jurisprudence, que le droit
constitutionnel français confortera ses assises ; loin de se borner à trancher
des litiges sur la base du droit existant, le juge contribue par son activité
d'interprétation à la production des normes, tout en n'hésitant pas à s'immiscer dans le travail d'élaboration doctrinale. Les disciplines juridiques
se caractérisent ainsi par la formation à l'intérieur de l'univers juridique
de sous-ensembles, construits à partir d'un investissement spécifique de
certaines franges de la doctrine auxquelles l'existence d'un juge spécialisé
apportera un utile appui21.
L'idée de « discipline juridique » implique celle d'un corpus de règles,
dotées des attributs de la normativité, dont il s'agit d'assurer la transmission le plus fidèlement et le plus exactement possible. La didactique des
disciplines juridiques prend dès lors des formes singulières, irréductibles
à celles des autres disciplines. Les facultés de droit sont restées en France
marquées par l'ancien modèle des Écoles de droit, dans lesquelles l'enseignement était conçu de manière à assurer l'inculcation du savoir juridique
et la connaissance de la lettre des textes - le contrôle des connaissances
servant à vérifier la capacité de mémorisation des étudiants : les inflexions
dans la pédagogie, qui se produiront au cours du xxe siècle22 n'ont pas
réellement remis en cause la prééminence du cours magistral, institué
21. Le champ juridique comporte ainsi selon P. Bourdieu (« La force du droit. Éléments
pour une sociologie du champ juridique », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 64,
septembre 1986, p. 6) deux pôles : d'un côté, l'interprétation tournée vers l'élaboration
purement théorique de la doctrine, monopole des professeurs qui sont chargés d'enseigner,
sous une forme normalisée et formalisée, les règles en vigueur ; de l'autre, l'interprétation
tournée vers l'évaluation pratique d'un cas particulier, apanage des magistrats, qui accomplissent des actes de jurisprudence et peuvent par là, pour certains d'entre eux, contribuer
aussi à la construction juridique ».
22. J. Chevallier, « L'enseignement du droit en question », in X. Dupré de Boulois,
M. Kaluszinski, Le droit en révolution(s). Regards sur la critique du droit des années 1970
à nos jours, LGDJ, coll. Droit et Société, 2011.
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