Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 111

LA SOCIÉTÉ DES PRINCES ET LE DROIT DES GENS

105

IV - UNE HIÉRARCHIE EN FAVEUR DU « BIEN PUBLIC »
Plusieurs problèmes logiques s'entremêlent. D'abord : comment
démontrer qu'un conflit existe entre deux ordres juridiques ? Un conflit
présuppose l'existence de deux ordres juridiques distincts. Ce qui paraît
évident lors des conflits de juridictions à l'intérieur du royaume le paraît
beaucoup moins sur le plan externe. Le juriste contemporain serait rebuté
par le manque d'institutions à l'époque moderne ; l'historien, par le peu de
« foy » réellement accordée aux traités111. Cependant, le problème théorique
qui hante les internationalistes de nos jours par rapport au droit interne
est le même, ce qui ne les empêche pas d'étudier le droit international112.
Une approche généalogique n'est pas adaptée à l'étude de ce phénomène.
La monarchie de droit divin, autoréférentielle, ne peut pas servir de vecteur
des négociations entre souverains. La reconnaissance de la souveraineté
de plusieurs centres constitue la précondition à la négociation ; d'où
l'affirmation du cardinal de Fleury, Premier ministre, que les traités avec
les infidèles lient la monarchie française113, ou celle de Réal de Curban,
élargissant la foi des traités aux régions extra-européennes114.
Élargir le périmètre de normativité - au-delà des seuls traités formels ou de
la doctrine - permet de capter le comportement des États considéré les lier.
Les récurrences dans les conversations diplomatiques révèlent leurs façons
de voir, de structurer le monde, suivant un moule politico-juridique115. Par
ailleurs, dans les paroles d'Yves Sassier et François Saint-Bonnet, si « agir
pour le bien commun à l'intérieur d'un ordre juridico-politique qui ne
peut être enfreint par personne » constitue une finalité partagée du roi et
du parlement, le traité d'Utrecht et la renonciation qu'il établit, rentrent
directement dans l'ordre juridique français116.
L'utilisation de termes tels que « modification » ou « dérogation »
implicite est d'une très grande utilité à traduire les raisonnements juridiques
des praticiens quand les obligations découlant des traités d'Utrecht entrent
111. K. Frehland-Wildeboer, Treue Freunde ? : Das Bündnis in Europa 1714-1914,
Oldenbourg, Studien zur internationalen Geschichte, 2010.
112. F. v. Kratochwil, Rules, norms, and decisions : on the conditions of practical and
legal reasoning in international relations and domestic affairs, Cambridge, Cambridge
University Press, Cambridge studies in international relations, 1989.
113. voir les affirmations d'Horatio Walpole, ambassadeur à Paris, à ce sujet, en 1726 :
F. Dhondt, Balance of Power, op. cit., p. 407.
114. G. Real de Curban, La science du gouvernement, op. cit., t. v, 559.
115. F. Dhondt, « Kardinaal Dubois door Hyacinthe Rigaud (1723). Een insider's view
op een bibliotheek van de macht in de Grand Siècle », Pro Memorie. Bijdragen tot de
rechtsgeschiedenis der Nederlanden, t. 16, 2014, p. 45-54.
116. F. Saint-Bonnet et Y. Sassier, Histoire des institutions, op. cit., p. 302.

Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne