Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 128

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LA NORMATIvITÉ

fois le subjectivisme allemand qui fait reposer tout droit sur une volonté33
et l'objectivisme durkheimien qui fond le droit dans le fait social sans
rendre compte de sa spécificité créatrice34. Selon lui, « ce sont les institutions qui font les règles de droit, ce ne sont pas les règles de droit qui font
les institutions »35. La définition qu'il donne de l'institution, pour fameuse
qu'elle soit devenue, est cependant loin d'être claire36. Elle conduit surtout à
rechercher, voire à postuler, les « manifestations de communion » et « l'idée
d'œuvre » sur lesquelles reposeraient, hypothétiquement, les organisations
corporatives identifiées. Le positivisme scientifique affiché est contredit par
la nécessité de retrouver, derrière les institutions juridiques, les communautés morales qui les sous-tendent. L'État moderne lui-même ne serait
qu'une « réorganisation de la nation »37, conformément à une « conception
morale de la société »38 qui exige une représentation fortement idéalisée de
l'adhésion ou du consentement des sujets à un projet moral commun. Dès
lors, la souplesse de départ se paye non seulement d'une difficulté à spécifier
le droit parmi les régularités sociales, mais aussi d'une approche qui fait
de l'ordre juridique un dépassement métaphysique du social permettant
« d'introduire de la justice dans les choses »39. D'une part, la dynamique
historique des institutions, qui ne seraient que des continuations de la
fondation, se retourne en une conception anhistorique de la juridicité dont
l'État constituerait le produit achevé et le modèle rétrospectif (« L'État

33. À partir d'une analyse subjectiviste (Gerber, Laband, Jellinek), « il était bien impossible de rattacher à la volonté de l'État les règles coutumières, qui ne sont l'œuvre d'aucun
organe étatique. [...] Fallait-il aller jusqu'à dire que le droit du clan ou le droit tribal ou le
droit seigneurial n'étaient pas du droit véritable ou, plus simplement, qu'avant l'avènement
de l'État la règle de droit n'existait sous aucune forme ? » : M. Hauriou, « La théorie de
l'institution et de la fondation (essai de vitalisme social) », Cahiers de la nouvelle journée,
t. 4 (La Cité moderne et les transformations du droit), 1925, p. 4-5.
34. Selon Hauriou, Durkheim aurait confondu durée et création et ainsi négligé le fait
que le milieu social se caractérisant par sa « force d'inertie », il ne peut constituer la source
immédiate du droit (ibid., p. 7-9). voir l'analyse qu'en donne Br. Karsenti, « Le droit,
symbole visible de la solidarité. Règle et régularité chez Durkheim », J.-P. Bras (dir.),
L'Institution. Passé et devenir d'une catégorie juridique, actes du colloque organisé les 22 et
23 juin 2006 par le CESJ [...] de l'université de Rouen, Paris, L'Harmattan, 2008, p. 97-121.
35. M. Hauriou, loc. cit., p. 44.
36. Ibid., p. 10 : « Une institution est une idée d'œuvre ou d'entreprise qui se réalise et
dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de l'idée il se produit des
manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures ». voir : É. Millard, « Hauriou et la théorie de l'institution », Droit et société, t. 30-31,
1995, p. 381-412 ; J. Schmitz, La Théorie de l'institution du doyen Maurice Hauriou, Paris,
L'Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 2013.
37. M. Hauriou, Principes de droit public, 2e éd. Paris, Sirey, 1916, p. XvI.
38. Ibid., p. XXv.
39. Ibid., p. 10.
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