Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 133

ÉPREUvES D'HISTOIRE

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à la fois se nourrir de la théorie du droit et lui fournir des informations
qui échappent au juriste trop exclusivement centré sur les complexités
- relatives - du droit contemporain. C'est à ce titre aussi, que les pratiques
et les discours des acteurs constituent une matière première qui ne se suffit
pas à elle-même. En raison même du rapport paradoxal du droit au temps,
l'historien du droit ne peut pas plus se contenter de reproduire le discours
des acteurs qu'il ne peut les ignorer. qu'il soit tenu pour divin ou naturel,
universel ou éternel, le droit n'en est pas moins historiquement construit
par des hommes. que les acteurs soient convaincus de ne faire que reproduire un droit immanent et naturel ne change rien au caractère positif des
actes par lesquels le droit est ainsi « déclaré ». Tous, du plus humble sujet
mobilisant des catégories sans les maîtriser au plus docte savant échafaudant
des reconstructions novatrices, tous contribuent à cette histoire du droit
et de la juridicité qui a peu faire d'un clivage théorie/pratique inopérant62.
Le droit naturel lui-même a une histoire63. En ce, une approche positiviste
du droit n'implique pas de rejeter dans les limbes de l'obscurantisme tout
droit empreint de jusnaturalisme. Indifférente, sur le fond, aux légitimations métaphysiques du droit, elle refuse à celles-ci le statut de proposition
scientifique ; cela les ramène au rang de discours-objet pour observer la part
qu'elles peuvent prendre dans la construction de la positivité.
D'un point de vue historique, cela signifie que les droits anciens sont bien
des droits, qu'ils sont à ce titre dotés de positivité, mais d'une positivité sans
doute différente de celle conçue, en son temps, par le normativisme. Cette
ambivalence trace la frontière brouillée entre la portée du normativisme
et ses limites. Pour l'historien, ces dernières sont nombreuses et sautent
pour ainsi dire aux yeux. À l'inverse de l'institutionnalisme, le normativisme serait rigide, formaliste, abstrait et, pour reprendre une expression
de Grossi, d'un « étatisme psychologique » tel qu'il le rendrait incompatible avec toute étude historique, en particulier pour les droits anciens64.
62. En ce sens, pratiques et discours, quel que soient leurs degrés d'élaboration et de
réflexivité, sont autant de « pratiques intellectuelles » qui forment le terreau de l'histoire
du droit : Fr. Audren, « Introduction : l'histoire intellectuelle du droit ou la fin du "Grand
partage" », Clio@Themis, t. 9 (Juristes et sciences du droit en société Éléments pour une
histoire intellectuelle de la raison juridique (xixe-xxe)), décembre 2015, publié en ligne
[http://www.cliothemis.com/Introduction-l-histoire,112].
63. qui a d'ailleurs été souvent négligée, comme si le droit naturel n'était pas lui-même
une forme de la positivité. voir par exemples les travaux réunis dans L.-L. Christians,
Fr. Coppens et alii (dir.), Droit naturel : relancer l'histoire ?, Bruxelles, Bruylant, coll. « Droit
et religion », 2, 2008.
64. Dans une perspective différente, dans la mesure où ses critiques se portent tant contre
le normativisme de Kelsen que contre le jusnaturalisme, le réalisme ou le pluralisme, ces
défauts sont aussi ceux que souligne R. Libchaber, L'ordre juridique et le discours du
droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit, Paris, LGDJ, coll. « Connaissance du
droit », 2013, p. 62-70.

http://www.cliothemis.com/Introduction-l-histoire,112

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