Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 144

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LA NORMATIvITÉ

de Doneau qui « distingue deux façons de détenir la jurisdictio : certains
l'ont en vertu d'un droit propre, d'autres par la délégation d'autrui »97. Ainsi
de Du Moulin qui rejette l'autorité des Libri feudorum :
« parce qu'ils ont été établis nec per constitutionem potestatem habentis,
nec per conformem usum omnium, et que leur rédacteur, Obertus de Horto,
n'avait reçu pouvoir ni du prince, ni du peuple, seu principis, seu populi
fungens »98.

Autant de réflexions qui transforment l'ordre juridique et construisent
son autonomie dans un sens statique ou dynamique. La valeur d'une norme,
d'un ensemble de normes ou d'une autorité est rapportée à d'autres normes
supérieures et antérieures (des critères d'évaluation issus des distinctions
médiévales) qui instituent l'ordre dont les premières dépendent. Le même
Du Moulin affirme également que les coutumes doivent être ramenées à
l'unité, sous-entendu d'un même ordre.
« Porro nihil laudabilius, nihil in tota Republica utilius et optabilius,
quam omnium diffusissimarum et ineptissime saepe variantium hujus regni
Consuetudinum, in brevem unam clarissimam et aequissimam consonantiam
reductio »99.

Ces exemples parmi tant d'autres de débats et de réponses données par
chacun préfigurent la reconstruction globale opérée par Bodin. En faisant
du souverain le point d'imputation de toute norme juridique valide dans la
République, Bodin entend assurer la nécessaire clôture de l'ordre juridique.
Il fait ainsi reposer l'ensemble de l'ordre juridique sur un principe métajuridique, celui de la souveraineté100. Outre le caractère dogmatique de
l'entreprise, il convient de souligner ses failles révélatrices. Bodin le sait,
le commandement n'est pas encore un critère, au xvie siècle acquis du
droit. Pour une majorité de juristes de l'époque, la volonté ne peut être
qu'un instrument au service de la raison, i. e. du jugement. Surtout, il fait
reposer le droit sur un paradoxe. La loi, commandement du souverain, ne
se caractérise que par cette imputation première qui commande et déroge
au commandement, qui fait le droit et y déroge. Bodin est contraint de
97. X. Prévost, Jacques Cujas (1522-1590), jurisconsulte humaniste, Genève, Droz, coll.
« Travaux d'humanisme et Renaissance », 541, 2015, p. 194.
98. J.-L. Thireau, Charles Du Moulin (1500-1566). Étude sur les sources, la méthode, les
idées politiques et économiques d'un juriste de la Renaissance, Genève, Droz, coll. « Travaux
d'humanisme et Renaissance », 176, 1980, p. 109.
99. Ch. Du Moulin, « Oratio de concordia et unione consuetudinum Franciae », Omnia
quae extant opera..., Paris, Charles Osmont, 1681, t. II, p. 690.
100. M. Troper, « The structure of the legal system and the emergence of the State »,
loc. cit.

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