Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 166

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LES MÉTACONCEPTS

et des concepts substantiels comme propriété, personne, droits subjectifs,
État, souveraineté... Ils sont naturellement en désaccord sur les définitions
de ces concepts, mais sans les relier à des contextes historiques particuliers.
Il me semble que cette méthode présente de nombreux inconvénients pour
les deux disciplines.
Pour la théorie du droit, tout se passe comme si les thèses étaient
susceptibles d'être vraies ou fausses et qu'on se demandait ce qu'était
« réellement » l'État ou la propriété, si la doctrine ou la jurisprudence étaient
« réellement » des sources du droit, s'il existe des droits subjectifs, si le
pouvoir constituant est « véritablement » souverain, etc. Or, non seulement
il n'existe évidemment aucun moyen objectif de tester la vérité de ces
thèses, mais on observe que, bien souvent, le droit positif présuppose des
thèses contraires. Pour prendre un exemple simple : Kelsen soutient - avec
d'excellents arguments d'ailleurs - que le système juridique est cohérent
et complet, alors que le droit positif de plusieurs pays autorise explicitement les juges à combler les lacunes. On peut naturellement maintenir
la théorie en soutenant, comme le fait Kelsen, que ces règles ne prouvent
pas l'existence, ni même la possibilité de lacunes, mais qu'elles constituent
une manière détournée de donner aux juges le pouvoir de créer des règles
générales. Ceci est tout à fait convainquant, mais n'explique pas pourquoi
il a fallu pour leur donner ce pouvoir invoquer l'existence de lacunes plutôt
qu'une autre justification, comme la nature de la fonction de juger ou la
volonté de Dieu.
Du point de vue de l'histoire du droit, les inconvénients sont tout aussi
grands. S'il y a une aussi grande variété de concepts, il devient possible de
choisir le plus commode pour la thèse qu'on veut défendre. Soit la question
de la naissance de l'État, qui dépend bien évidemment de la définition.
Selon qu'on appelle « État », une organisation politique efficace sur un
territoire donné, un système politique doté d'une administration centrale,
d'un pouvoir législatif, d'un pouvoir de taxation, d'une monnaie, d'une
armée et d'un appareil judiciaire ou, à la Kelsen, un système juridique
centralisé, complet et cohérent, c'est-à-dire doté d'une structure hiérarchisée, dont les règles régissent toutes les activités humaines et capable
d'entrer dans des relations juridiques avec les autres systèmes de ce type,
on donnera des réponses différentes. Avec la troisième définition, il n'y a
d'État qu'avec l'État moderne, mais la cité grecque ou le système politique
du Moyen Âge ne sont pas des États. Avec la seconde, il y a bien un État
au Moyen Âge, mais pas dans la cité grecque. Encore faut-il préciser par
exemple que le pouvoir législatif dont on parle à propos du Moyen Âge
n'a pas le monopole de la production des règles, qu'il y a une multiplicité
d'appareils judiciaires et que les juges ne se bornent pas à appliquer la loi.
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