Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 170

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LES MÉTACONCEPTS

abstraction et seuls des êtres humains peuvent exercer des actes de violence.
Mais ces actes peuvent être imputés à l'État et, là encore, ce n'est possible
qu'au moyen de règles4. La définition « sociologique » de Weber revient
donc en réalité à une définition juridique : l'État est cette forme politique
qui exerce le pouvoir dans la forme juridique.
On arrive à une conclusion analogue si l'on considère la définition
juridique habituelle, selon laquelle l'État est formé de trois éléments (un
peuple, un territoire, une puissance publique), dont il est facile de montrer
le caractère tautologique. En effet, aucun de ces éléments ne peut être
défini indépendamment de l'État ou du droit. Ainsi, le peuple n'est pas une
donnée naturelle, mais seulement l'ensemble des individus soumis à l'État
ou, en d'autres termes, aux normes de l'État ou encore cette entité que l'État
définit comme « le peuple ». Il en va de même pour les deux autres éléments
et, comme nous pouvons à chaque fois utiliser indifféremment l'expression
« normes de l'État », le mot « droit » ou le mot « État », ces termes ont la
même référence. On pourrait toujours remplacer l'un par l'autre et l'on
n'utilise le mot « État » que lorsqu'on veut personnifier l'ordre juridique.
Cette personnification serait innocente et sans portée, n'était la tentation
de l'hypostase.
Comprendre l'État et le droit comme une unité présente un certain
nombre d'avantages. Le premier est évidemment de dissoudre le problème
de leurs relations mutuelles. Le second est qu'il permet de démasquer les
idéologies liées à la théorie dualiste, qui prétendent que l'État, s'il est
distinct du droit, pourrait lui être soumis, qu'il ne serait plus un simple
appareil usant de la force, mais un « État de droit », mais qui peuvent aussi
prétendre que l'État, étant extérieur au droit, possède des intérêts propres
justifiant que le droit soit parfois mis de côté. La théorie dualiste apparaît
ainsi comme une autre version de la doctrine de la raison d'État.
Démasquer ce caractère idéologique révèle donc que l'État et le droit
n'est jamais que la forme du pouvoir et l'organisation de la force. Comme
Kelsen l'a souvent répété, « celui qui cherche la réponse [à l'éternelle
question de savoir ce qui se cache derrière le droit positif] ne découvrira
jamais, je le crains, ni la vérité absolue d'une métaphysique, ni la justice
absolue d'un droit naturel. Celui qui soulève le voile et ne ferme pas les
yeux, celui-là peut apercevoir la hideuse face de Gorgone du pouvoir qui
le fixe »5.
4. voir P. Silverman, « Sovereignty as a Juristic Assumption and as a Focal Point of
Political Commitment », in H. Kelsen, Werke, éd. M. Jestaedt, Tübingen, Mohr Siebeck.,
2013, t. 4, p. 237 et s.
5. R. Metall, Hans Kelsen. Sein Leben und Werk, vienne, verlag Franz Deuticke,
1969, p. 30.
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