Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 181

LA DISTINCTION THÉORIqUE

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La célèbre distinction faite par Hart 6 entre règles primaires,
ordonnant des comportements, et règles secondaires (de reconnaissance,
de changement, d'adjudication) est celle qui a été la plus utilisée, dans la
mesure où elle permet (beaucoup plus que la référence kelsénienne à une
première « constitution ») d'enquêter sur l'invention du droit à partir de
la présence des règles secondaires à caractère procédural. L'emploi des
critères de Hart conduit ainsi à identifier des règles secondaires en Chine,
à Rome et dans le monde juif dans les siècles qui précèdent l'ère chrétienne,
à mesurer le rayonnement à travers le monde de ces trois pôles d'invention
du droit7, comme à écarter l'hypothèse d'un droit égyptien, d'un droit
mésopotamien, d'un droit aztèque8, voire à placer l'invention du droit en
Grèce plutôt au ive qu'au vie siècle avant Jésus-Christ.
Pour autant le schéma proposé par Hart a suscité bien des critiques
et laisse de nombreuses questions en suspens : la place particulière de la
règle de reconnaissance (s'agit-il d'une règle conventionnelle, faisant ou
non intervenir une même raison de la part des gouvernants, voire des
gouvernés, pour reconnaître le droit ?9), le besoin ou non d'une classe de
« juristes » (ou d'officials) pour reconnaître comme du droit un ensemble
de règles primaires, le passage par étapes ou uno actu (comme l'a écrit
Max Weber à propos de la loi des XII Tables10) d'un pré-droit à l'union
des règles primaires et des trois règles secondaires. Notre but n'est pas ici
de reprendre ces débats qui s'appliquent particulièrement à l'invention du
droit et à l'Antiquité. Puisqu'il est question dans ce colloque des époques
médiévale et moderne, c'est la problématique proche de la division diachronique en « systèmes juridiques » que nous voudrions aborder à partir de
ces prémisses.
Par commodité, nous nous appuierons sur les définitions stipulatives
amenant à envisager trois niveaux de structuration des normes juridiques :
- les normes juridiques ordinaires, correspondant aux règles primaires
de Hart, sont considérées comme des créations historiques émanant
d'autorités qui disposent du pouvoir de légiférer ou de juger, elles sont
toujours susceptibles d'être remplacées, elles sont « défaisables » assez

6. H. L. A. Hart, Le concept de droit, trad. fr. M. Van De Kerchove, Bruxelles,
facultés Saint-Louis, 1976, p. 116-125.
7. J.-L. Halpérin, De la méthode historique en sciences juridiques et de son avenir,
Paris, Dalloz, 2013, coll. « Tiré à part » (avec É. de Laboulaye, De la méthode historique
en jurisprudence et de son avenir).
8. A. Schiavone, Ius. L'Invenzione del diritto in Occidente, Turin, Einaudi, 2005, p. 5.
9. J. Dickson, « Is the rule of recognition really a conventional rule? », Oxford Journal
of Legal Studies, 2007, 27(3), p. 373-402.
10. M. Weber, Sociologie du droit, trad. J. Grosclaude, Paris, PUF, 1986, p. 196.
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