Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 37

PEUT-ON PARLER D'« ORDRE JURIDIqUE MÉDIÉvAL » ?

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C'est cette proposition qu'il nous semble nécessaire d'examiner, en nous
plaçant du point de vue de la situation culturelle de l'età del diritto comune29
- c'est-à-dire aux xiiie-xve siècles30. Si la société médiévale se conçoit comme
une unité d'ordre fondée sur le droit et si le droit a raison de cause efficiente
dans cette unité, peut-on néanmoins affirmer - en nous plaçant du point
de vue de la doctrine médiévale - que cette unité d'ordre est pour eux
de nature juridique et qu'il existe donc un « ordre juridique médiéval »
pensé comme tel, quoiqu'implicitement par eux ? Dans la logique de l'école
qui pénètre précocement la pensée juridique médiévale31, en effet, l'ordo
ressortit de la relation, qui est un des dix prédicaments auxquels Aristote a
consacré l'essentiel de ses Catégories (4. 1. b. 25)32. Dans la relation prédicamentale, l'ordo ne permet pas de mettre en lumière l'aliquid d'un étant, mais
l'ad aliquid. En tant qu'il est prédicament, l'ordo ne dit donc rien d'une
substance, mais seulement de ses accidents. Dans l'efflorescence scolastique de la pensée aristotélicienne, l'univers comme la société politique sont
considérés comme une unité d'ordre. Les éléments divers qui constituent
les différentes espèces de sociétés - interdépendantes et hiérarchisées les
unes aux autres ; ces éléments forment une unité en ce que ces éléments sont
ordonnés, c'est-à-dire disposés les uns par rapport aux autres en vue d'une
29. P. Grossi, op. cit., p. 11.
30. L'expression « jus commune » ne passe d'une signification rigoureusement technique
à celle permettant de désigner le rôle premier joué par le jus civil comme critère de l'interpretatio juris qu'à partir du second xiiie siècle : voir notamment, A. Gouron, « Le droit
commun a-t-il été l'héritier du droit romain ? », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, cxlii [1], Paris, 1998, en particulier, p. 283-284, et
N. Warembourg, « Retour sur une question disputée : quelques hypothèses sur la signification des termes ''jus commune'' et ''consuetudo generalis'' dans les sources médiévales
des Pays de coutumes (xiiie-xve siècles) », in L'interprétation du Droit, Actes des Journées
de la Société d'Histoire du Droit, Besançon, 2013, à paraître.
31. M. Bassano, « Dominus domini mei dixit... ». Enseignement du droit et construction
d'une identité des juristes et de la science juridique. Le studium d'Orléans (c. 1232-c. 1320),
thèse droit dactyl., Paris II, 2008 et plus largement, A. Errera, Il concetto di scientia iuris
dal XII al XIV secolo, Il ruolo della logica platonica e aristotelica nelle scuole giuridiche
medievale, Milano, Giuffrè, 2003, coll. « quaderni di Studi Senesi », 97 ; J. W. Baldwin,
The scholastic Culture of the Middle Ages, 1000-1300, Princeton, Heath, 1971.
32. Sur ces questions très classiques, nous renvoyons d'abord à la présentation synthétique
de J. Zabarella, Tables de Logique, Sur l'Introduction de Porphyre, les Catégories, le De
l'Interprétation et les Premiers Analytiques d'Aristote..., trad. M. Bastit, Paris, L'Harmattan,
2003, spéc. p. 14-16, qui donne un tableau d'ensemble de la logique de l'École au Moyen
Âge, quoique composé à l'aube des Temps Modernes. Add., P.-M. Margelidon et
Y. Floucat, Dictionnaire de philosophie et de théologie thomistes, s. l., Parole et Silence,
2011, p. 331-334 ; H.-D. Gardeil, Initiation à la philosophie de saint Thomas d'Aquin,
Paris, Le Cerf, 2007, t. I, p. 85-88 ; B. Couillaud, Raisonner en vérité, Traité de logique :
analytique, dialectique, rhétorique, sophistique, Paris, Fr.-X. de Guibert, 2003, p. 121-128 ;
R. Verneaux, Cours de philosophie, 1/ Introduction et Logique, Paris, Beauchesne, 1964,
p. 72-73. Outre, la référence citée infra, n. suivante.
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