Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 45

PEUT-ON PARLER D'« ORDRE JURIDIqUE MÉDIÉvAL » ?

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manière dont l'agent les pose. Or, cette manière est dans la dépendance du
moment où l'on choisit de le poser. Cicéron formule alors une remarque
très profonde : « Ita videtur eadem vis ordinis et collocationis fore »59. Il
faut comprendre par-là que les termes d'ordre et de mise en place ont la
puissance logique (vis) de signifier la même réalité. L'autre définition d'ordo,
Alberico la trouve chez saint Augustin au De civitate Dei, dans ce chapitre
célèbre où l'évêque d'Hippone définit la paix comme « la tranquillité de
l'ordre » (« pax [...] tranquillitas ordinis »)60. « Ordo », écrit-il, « est [...]
parium dispariumque rerum sua quique loca tribuens dispositio »61. L'idée
est la même que chez Cicéron : l'ordre naît de la disposition de choses
semblables ou dissemblables à l'endroit où elles doivent se trouver. L'idée
de participation à un tout harmonieux par la disposition des parties est
clairement affirmée. Le docteur de la grâce a d'ailleurs consacré un opuscule
De ordine. La question de l'ordo est envisagée sous l'angle de la manière
dont le Mal s'introduit dans une création dont la fin est Dieu, c'est-à-dire
le souverain Bien. Augustin voit dans la notion d'ordo un enchaînement
des causes : « Causarum autem series ordine includitur », écrit-il62.
Il semble bien qu'Alberico se révèle une fois encore un témoin crédible
des sources de la culture juridique du bas Moyen Âge. Un témoignage
précieux, car il est bien difficile de trouver une définition juridique et systématique d'ordo dans les sources savantes : les sondages que nous avons
tentés se révèlent assez infructueux. Au mieux trouve-t-on une glose assez
lapidaire d'Accurse sur le titre de ordine judiciorum (C. 3. 8). Le maître
envisage ordo comme la manière dont le juge doit « procedere et quod fieri
debeat » à l'occasion d'un procès63. quoique des plus compendieux, ce
passage est très dense et éloquent. Les deux membres de la phrase traduisent
la conception morale de l'ordo que Cicéron et Augustin ont reçu des Grecs.
Il correspond à une suite progressive d'éléments distincts (procedere) ; et
ces étapes que scande l'ordo, le juge doit les parcourir (fieri debeat) s'il
veut être un bon juge. Les auteurs d'ordines médiévaux - ces traités de
procédure romano-canonique64 - ne proposent pas de définition essen59. Ibid.
60. Augustin d'Hippone, De civitate Dei, 19. 13. 1, G. Bardy (éd.) et G. Combès (trad.),
Paris, Desclée de Brouwer, 1960, coll. « Bibliothèque augustinienne », 37, p. 110.
61. Ibid., p. 179-80.
62. Id., De ordine, 6. 15, R. Jolivet (trad.), Paris, Desclée de Brouwer, 2e éd., 1948, coll.
« Bibliothèque augustinienne », 4, p. 329.
63. Gl. C. 3. 8 rubr., Turin, 1958, f° 70ra.
64. K. W. Nörr, Romanisch-kanonisches Prozeßrecht, Erkenntnisverfahren erster
Instanz in civilibus, Berlin-Heidelberg, 2012, notamment, p. 37-55 passim ; F. Roumy, « Les
origines pénales et canoniques de l'idée moderne d'ordre judiciaire », in M. Schmöckel,
O. Condorelli et F. Roumy (dir.), Der Einfluß der Kanonistik auf die europäische
Rechtskultur, t. III. Straf- und Strafprozeßrecht, Cologne-Weimar-vienne, Böhlau verlag,
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