Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 47

PEUT-ON PARLER D'« ORDRE JURIDIqUE MÉDIÉvAL » ?

Appliquer à l'expérience médiévale du droit, le concept contemporain
d'ordre juridique, - et cela même dans l'acception semi-normativiste qu'en
a proposée Santi Romano - se révèle plein d'embûches. Le Moyen Âge du
droit a distingué politique, loi et droit pour mieux les unir en les ordonnant
selon une logique qui était la sienne et ne saurait rendre, selon nous, l'idée
d'« ordre juridique » telle que l'ont reçue les auteurs contemporains. À
notre sens, si l'on souhaite appliquer franchement et à titre purement spéculatif la notion d'ordo au jus, il faut admettre que sa signification dans les
sources historiques sera assez éloignée de nos préoccupations actuelles.
Cet exercice, dont nous avons voulu mettre en relief pourtant les risques,
permet néanmoins de souligner l'appréhension analogique de jus et de
lex par les esprits médiévaux. Jus divinum n'est pas moins jus que le jus
humanum, par exemple, et l'enchaînement logique entre ces deux notions
- ce qui caractérise la conception médiévale de l'ordo -, cet enchaînement
ne peut être pensé selon le mode de la hiérarchie des normes qui contribue
massivement à la caractérisation actuelle de l'ordre juridique. Le droit, dans
les conceptions médiévales, se retrouve tel qu'en lui-même sous des species
différentes de droit divin et de droit humain. Il n'est donc pas nécessaire
d'avoir un outil tel que la notion d'« ordre juridique » pour penser cette
unité qui sera nécessairement accidentelle, puisqu'elle existe déjà substantiellement dans jus. Ordo ne peut concerner que divinum ou humanum
et ne peut concerner que l'articulation entre le mode de révélation du jus,
divin ou humain, et les conséquences pratiques induites par ce mode. En
conséquence et en toute rigueur des termes, il ne faudrait pas dire qu'au
Moyen Âge, le jus divinum « fonde » le jus humanum, comme si les hommes
du bas Moyen Âge avaient pensé une hiérarchie permettant l'écoulement
de la volonté divine d'une « source du droit » à l'autre, selon l'étrange
pyramide inversée de Kelsen. Au bout de notre réflexion, nous ne pouvons
répondre à notre question de départ - peut-on parler d'« ordre juridique
médiéval » ? - qu'en posant quelques suggestions. Soit nous appliquons une
acception contemporaine d'« ordre juridique » au Moyen Âge du droit, et
nous risquons de passer à côté de l'originalité de cette expérience ; soit nous
1299, XLII, t. III/1, p. 34 : « Mandatum super hoc emanavit, et ipsos ad restitutiocem dampnorum et expensarum hujusmodi fore compellendos, prout postulaverit ordo juris » ; ibid.,
Enquêtes, 1301, p. 65 : « Sed, juris ordine servato, fore procedendum » ; ibid., Enquêtes, 1301,
X, p. 70 : « Servato juris ordine, [...] per diffinitivam sentenciam condempnavit » ; ibid.,
Enquêtes, 1317, XLVII, t. III/2, p. 1122 : « Ut curia nostra, super hoc, ulterius, secundum
juris ordinem, quod foret racionabile ordinaret... » ; ibid., Enquêtes, 1318, XXIX, t. III/2,
p. 1236 : « Confirmavit, sentenciam primi judicis pronuncians nullam esse, tanquam latam
contra solitum ordinem judiciorum, juris ordine non servato » ; ibid., Enquêtes, 1318, XLIII,
p. 1257 : « Juris ordine non servato... » ; ibid., 1296, III, t. II, p. 29 : « Per hoc appellacionis
remedium gravatis adimitur, jus ressorti nostri leditur, superioritati nostre detrahitur, et
ordo justicie, que debet esse media inter dominum et subjectos... ».

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