Contextes - Penser l'ordre juridique médiéval et moderne - 85

PENSER L'ORDRE JURIDIqUE ECCLÉSIASTIqUE

L'enregistrement d'une norme canonique n'est pas définitif. Devenue
loi de l'État, elle peut très bien être modifiée par ce même État, de manière
unilatérale. L'exemple le plus typique est fourni par la matière testamentaire. La décrétale Quum esses (X, 3, 26, 10) pose la validité du testament
fait par devant son curé et deux témoins. Elle est reprise telle quelle par
l'article 63 de l'ordonnance de Blois de 1560, mais elle est ensuite restreinte,
par l'article 25 de l'ordonnance de 1735, qui limite le pouvoir d'instrumenter des clercs aux seuls lieux où ils y sont expressément autorisés par
les coutumes ou les statuts88.
Surtout, l'enregistrement ne met pas fin à la possible contestation. D'une
part, il existe le mécanisme de la complainte de novelleté (action possessoire en matière bénéficiale). D'autre part, la technique juridique de l'appel
comme d'abus, qui permet de se prévaloir d'un grief tiré d'une discordance
entre une norme canonique pourtant reçue, et une norme étatique. Il peut y
avoir abus quand une autorité ecclésiastique commet des « 1° Attentats aux
saints décrets et canons reçus en ce royaume ; 2° Attentats aux concordats,
édits, ordonnances du roi et arrêts des Parlements ; 3° Attentats aux
droits, franchises, libertés et privilèges de l'Église gallicane ; 4° Entreprise
de juridiction »89. Il s'agit d'un contrôle a posteriori. Contrairement au
mécanisme de type de la question prioritaire de constitutionnalité, et de
contrôle par ricochet, il s'agit ici d'un contrôle semblable à celui exercé par
la Cour européenne des droits de l'homme, qui vise à annuler une décision
sans pour autant se substituer au juge naturel.
Un point remarquable de l'évolution de l'usage du droit canonique
reçu tient aux innovations considérables de l'édit de 1695 sur la juridiction
ecclésiastique90. Son article 44 vient corroborer d'une manière radicale les
prétentions ecclésiastiques en matière d'exécution des décisions judiciaires.
Le point délicat de l'autorité de dire le droit sur un ressort, jamais officiellement tranché, reçoit alors une réponse d'autorité largement favorable à
l'Église en la dotant d'un territoire. Le juge d'Église devait se soumettre
88. voir Fr. Boutaric, Explication de l'ordonnance de Blois, in Traité des matières
bénéficiales, s. l., 1762, p. 112.
89. P.-T. Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique, v° Abus, cité par
N. Maillard, « Les procédures d'appel comme d'abus des dominicains à l'époque
moderne », in P. Arabeyre et Br. Basdevant-Gaudemet (dir.), Les clercs et les princes.
Doctrines et pratiques de l'autorité ecclésiastique à l'époque moderne, op. cit., p. 214. L'auteur
cite, n° 4, les propos de d'Aguesseau, estimant « que la contravention aux statuts particuliers
de l'ordre [dominicain] "n'est pas un moyen d'abus" », ces statuts n'ayant jamais été reçus
officiellement, et n'étant donc pas normatifs.
90. Ce point est tout à fait absent de ma communication portant sur « l'édit sur la juridiction ecclésiastique de 1695, modèle législatif du contrôle étatique », lors du colloque de
Toulouse des 11-13 septembre 2014, Le contrôle des religions par l'État. Hier et aujourd'hui,
à paraître.

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