Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 150

130

LES CONTRADICTIONS FRANÇAISES SUR LE DROIT D'ASILE

ayant écarté les certificats médicaux relatifs aux persécutions subies sans chercher
« à évaluer les risques que cette pièce était susceptible de révéler [et préciser] les
éléments qui la conduisaient à ne pas les regarder comme sérieux »42. La situation
des demandeurs d'asile « dublinés » alimente une autre controverse. Il a été précisé que la désignation de l'État membre responsable de l'examen de la demande
d'asile ne peut fluctuer au gré des circonstances43 ; elle s'effectue, une fois pour
toutes, à l'occasion de la première demande d'asile, le Conseil d'État interprétant
logiquement les articles 7 et 13 du Règlement Dublin III traitant des demandes
d'asile présentées par des personnes ayant franchi irrégulièrement une frontière.
Par ailleurs, les modalités d'information d'un demandeur d'asile dont le délai de
transfert vers l'État membre responsable de sa demande a été prolongé ont été
précisées par le Conseil d'État qui a jugé que la prolongation du délai de transfert
d'un tel demandeur d'asile ne nécessite pas l'intervention d'une nouvelle décision44. La France a tenté d'interpréter le droit de l'Union comme ne garantissant
pas le même droit à un accueil minimal lorsque l'étranger entre dans le dispositif
Dublin, c'est-à-dire fait l'objet d'une procédure de réadmission45. Dans ce cas de
figure, la question se posait de savoir si l'étranger pouvait bénéficier de ce droit à
des conditions minimales d'accueil sur le territoire de l'État membre incompétent
pour traiter sa demande d'asile en raison de l'entrée dans l'Espace Schengen par
le territoire d'un autre État membre. La CJUE a rendu un important arrêt jugeant
que l'État d'accueil de demandeurs d'asile était tenu d'octroyer des conditions
matérielles d'accueil dignes y compris lorsque le demandeur d'asile est « dubliné »46. La Cour affirme donc le droit du demandeur d'asile de demeurer sur le
territoire de l'État dans des conditions matériellement décentes jusqu'à ce qu'intervienne le transfert, la remise aux autorités de l'État membre. Respectant l'impératif d'« obéissance jurisprudentielle » dont parlait le président Genevois, le
Conseil d'État a appliqué l'interprétation par la CJUE de Dublin II en rendant
en 2013 un arrêt visant quatre normes européennes ainsi que l'arrêt des juges de
l'Union47. Ce « suivisme » a gagné le législateur obligé de transposer, dans notre
ordre juridique, des normes faisant partie intégrante du Paquet asile de juin 2013.

b. La réforme de l'asile en juillet 2015 : des meilleures pratiques dans le
cadre d'un « séisme procédural » ?
Enterré en 1993 pour faire pièce à une décision du Conseil constitutionnel, le
droit d'asile a été réformé en 2003, année de son « européanisation », laquelle a
été renforcée par le Paquet asile de juin 2013 à l'origine, en partie, de la loi du
42. CE, 10 avr. 2015, n° 372864 ; AJDA 2015, p. 1983, note E. Aubin.
43. CE, ord. 4 mars 2015, Diallo, n° 388180.
44. CE, 21 oct. 2015, Min. de l'Intérieur, n° 391375, tables Rec. CE.
45. C.  Amélie-Chassin, « De la réadmission des demandeurs d'asile », AJDA 2013,
p. 2377.
46. CJUE, 27 sept. 2012, Cimade et GISTI, aff. C-179/11.
47. CE, 4 déc. 2013, Cimade et GISTI, AJDA 2014, p. 1049, note E. Aubin.
Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto

Table des matières de la publication Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto
