Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 219

FRANÇOIS HERVOUËT

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La laïcité apparaît ainsi comme un concept compatible avec la liberté religieuse et celui-ci peut donc être retenu par les États ayant adhéré à la Convention.
Il n'en reste pas moins subordonné à la liberté religieuse, seule affirmée par cette
dernière, et ne peut donc être légitime que dans la mesure où il ne lui porte pas
atteinte. Symétriquement la conception française encadrant l'exercice de la liberté
religieuse par des considérations d'ordre public, telle qu'elle s'exprime avec
constance depuis un siècle11, est elle aussi compatible, malgré ses différences, avec
une conception européenne qui fixe des limites à l'exercice de cette liberté. En
outre, même si la conception française de la laïcité est originale et pionnière, elle
n'est pas totalement isolée en Europe et peut au moins être comprise par le concert
européen, si ce n'est retenue par d'autres.
Cependant sa compatibilité ne veut pas dire identité et il est possible que dans
la pratique des ajustements doivent être apportés. On constate en effet que dans
la prise de mesures concrètes, liberté religieuse et laïcité peuvent entraîner des
conséquences différentes : là, on aura une certaine tolérance lorsqu'il s'agit de
présenter des menus tenant compte de la religion des utilisateurs dans les cantines
ou en matière du port de signes religieux ou convictionnels ; ici, on se montrera
plus sévère. La validité de telles mesures peut dépendre de la pesée que l'on fait
des deux principes qui servent de référence et il est possible que, à la marge, telle
ou telle pratique doive être modifiée.
L'Union européenne pour sa part n'a pas été confrontée en tant que telle à la
question de la laïcité. Mais si cela devait advenir, il est probable que la solution
qu'elle adopterait serait proche de celle du Conseil de l'Europe puisque le texte de
référence en ce domaine est identique.
En définitive, l'Europe, avec ses deux composantes principales que sont le
Conseil de l'Europe et l'Union européenne, ne sera jamais laïque ; de plus, elle
exige des États qui l'ont constituée non seulement qu'ils reconnaissent la liberté
religieuse, mais encore qu'ils lui permettent de se développer sans discrimination
et avec un esprit de tolérance, y compris dans sa composante paradoxale, à savoir
la liberté de n'adhérer à aucune religion. Elle ne saurait à l'inverse leur imposer de
se référer à la laïcité, mais elle ne voit aucun inconvénient à ce qu'un ou plusieurs
États s'organisent en fonction de ce concept puisqu'il n'apparaît pas incompatible
avec la liberté religieuse dans les pays où il est institué. La laïcité n'est pas obligatoire, mais elle n'est pas interdite non plus ; elle est possible.
Ce n'est donc pas de l'Europe que peuvent venir les entraves à la laïcité, même
si celle-ci n'est pas la première de ses préoccupations. Il est ainsi inutile de rêver
de façon arrogante à une Europe qui ne serait rien d'autre qu'une France élargie
puisqu'il est possible, au moins sur ce sujet, de conserver sa particularité. Bien
plus difficiles à surmonter certainement sont les défis qui, pour ce qui concerne la
liberté religieuse, relèvent de la sécularisation des sociétés et, pour ce qui concerne
la laïcité, de l'arrivée de religions qui ne se sont pas construites à l'origine sur la
distinction du temporel et du spirituel.
11. CE, 19 févr. 1909, Abbé Olivier, Rec. p. 181.

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