Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 340

320

LE DÉDOUBLEMENT DU POUVOIR

et droit peuvent-ils se développer dans la mesure où leurs domaines et leurs
moyens d'action sont si différents ? Dès l'Antiquité européenne, la question s'est
posée et il semble que, selon des modalités certes quelque peu différentes, les
peuples européens y aient répondu de la même façon. Peut-être même s'agit-il là
d'une constante anthropologique que l'on pourrait retrouver dans d'autres
cultures et d'autres peuples. Dans le cadre de cette étude néanmoins, c'est le cadre
de l'Europe ancienne qui sera défriché.
Aux termes de l'article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958, « le président
de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct », tandis que
l'article 8 prévoit que « le président de la République nomme le Premier Ministre ».
Ainsi peut être résumé et simplifié le rapport à la légitimité entretenu entre les
deux membres les plus importants de l'exécutif de la Ve République : le président
est l'élu direct du peuple français, le Premier ministre est nommé par le président
élu. Chacun sait que ce dernier est un représentant éminent, voire le chef en cas de
cohabitation de la majorité parlementaire ou politique du moment2. Le rééquilibrage concret des pouvoirs au cours des épisodes de cohabitation n'y fait rien : le
président continue de dominer, comme en témoigne le fait que jamais un Premier
ministre n'a réussi à concurrencer sérieusement la politique du Président dans son
« domaine réservé ». En témoigne également le fait qu'aucun Premier ministre n'a
réussi à vaincre le président sortant lors d'une élection présidentielle3.
Ce dédoublement au plus haut niveau du pouvoir exécutif français se retrouve
également dans la monarchie britannique, dans la République italienne, dans la
Fédération de Russie et dans la plupart des régimes démocratiques occidentaux4.
Dans cette contribution, on essaiera de montrer que ce dédoublement du
pouvoir exécutif recoupe la dichotomie et la complémentarité du politique et du
droit, que cette complémentarité est une caractéristique anthropologique de la
façon typiquement européenne remontant à la plus lointaine Antiquité - même
si c'est souvent de façon inconsciente - de présenter ce rapport.
Ce principe du dédoublement du pouvoir se retrouve d'abord en Grèce puis à
Rome.

i - Le principe du dédoubLement en grèce
La caractéristique essentielle de la révolution politique et juridique grecque,
au tournant du viie siècle, réside dans la mise en place de la souveraineté du
Nomos, de la loi, en lieu et place de la souveraineté traditionnelle du Basileus, du
roi5. Cette révolution a pour corollaire le passage de la royauté traditionnelle à la
2. J. Massot, Chef de l'État et chef du gouvernement. La dyarchie hiérarchisée, La Documentation française, 1993. M. Morabito, Le chef de l'État en France, Montchrestien, 2e éd.,
1996, p. 111 et s. ; P. Ardant, Le Premier Ministre en France, Montchrestien, 1991.
3. L. Favoreu et al., Droit constitutionnel, Dalloz, 18e éd., 2016, p. 724-729.
4. On laissera ici de côté la question de l'influence, en particulier de l'évidente et profonde influence du parlementarisme britannique sur les parlementarismes occidentaux.
5. C.  Mossé, Au nom de la loi. Justice et politique à Athènes à l'âge classique, Payot,
2010 ; M. Gigante, Nomos Basileus, Napoli, Bibliopolis, 1993 [1re éd., Napoli, Glaux, 1956] ;
Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto

Table des matières de la publication Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto
