Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 46

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LA CONSTITUTION DE 1875 ET LA GUERRE 1914-1918

s'imposait pas. Le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France ; le gouvernement et le Parlement sont mis devant le fait accompli et l'assentiment préalable
des chambres à la guerre prévu par l'article 9 de la loi du 16 juillet 1875 n'était
donc pas nécessaire13.
La session extraordinaire du Parlement s'ouvre le 4  août par la lecture d'un
message du chef de l'État appelant à « l'Union sacrée »14. Les chambres adoptent
ensuite sans débats et à l'unanimité la loi sur l'état de siège15 et toutes les autres
mesures exceptionnelles proposées par le gouvernement, notamment la loi qui
instaure la censure de la presse16 et celle autorisant l'ouverture par décrets de crédits
supplémentaires et extraordinaires pour les besoins de la défense nationale17. Le
Parlement, persuadé que le conflit sera de courte durée, décide aussi de s'ajourner
sine die en maintenant la session ouverte. Le décret de clôture est toutefois pris le
3 septembre 1914 alors que le gouvernement vient de quitter Paris pour se rendre
à Bordeaux. La légalité de ce décret est douteuse. En effet, par suite de l'état de
siège, le Parlement tient une session de plein droit, hypothèse non prévue par les
articles 1 et 2 de la loi du 16 juillet 1875 qui distingue seulement les sessions ordinaire18 et extraordinaire. Le législateur de 1878 a ainsi entendu déroger à ces règles
constitutionnelles et rien n'indique à l'article 5 du texte que les chambres se réunissent seulement pour maintenir ou lever l'état de siège19. On peut donc estimer,
comme le relève Joseph Barthélemy, que dans de telles circonstances, la présence
de la représentation nationale est nécessaire pour contribuer à la protection des
libertés individuelles contre les abus éventuels résultant, du fait de l'état de siège,
de l'augmentation des prérogatives du pouvoir exécutif. En résumé, « la permanence du pouvoir législatif doit être la règle pendant toute la durée de l'état de
siège »20. Ce n'est pas le cas et, jusqu'à la fin de l'année, « le gouvernement est seul
en place et exerce une quasi-dictature avec le consentement tacite des chambres »21.
Toutefois, avec le retour du président de la République et du gouvernement à
13. « Le président de la République ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable
des deux chambres ».
14. L. const., 16 juill. 1875, art. 6 (extrait) : « Le président de la République communique avec les Chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre ».
15. L. 5 août 1914, JO 6 août 1914, p. 7126. L'état de siège sera maintenu pendant toute
la durée de la guerre et même au-delà ; il sera levé par le décret du 12 oct. 1919.
16. L. 5 août 1914, ibid. p. 7131 (à cette époque, les lois ne sont pas numérotées).
17. L. 5 août 1914, ibid. p. 7128. Pour G. Jèze, RDP 1915, p. 576, cette loi « est radicalement nulle, d'une nullité absolue ; elle est inexistante constitutionnellement parlant. En effet,
le texte adopté par le Sénat n'est pas le même que celui adopté par la Chambre des députés ; il
en diffère sur trois points essentiels. Le texte promulgué par le président de la République est
celui adopté par la Chambre des députés ».
18. V. infra, note 23.
19. V. supra, note 12.
20. J.  Barthélemy, P.  Duez, Traité de droit constitutionnel (éd. de 1933), Economica,
rééd. 1985, p. 516. V. J. Barthélemy, RDP 1915, p. 141. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la légalité du maintien de l'état de siège après la clôture de la session parlementaire.
V. également F. Bock, Un parlementarisme de guerre, 1914-1919, Belin, 2002, p. 77 et s.
21. R. Rémond, op. cit. p. 379. On peut remarquer qu'à cette époque cette « quasi-dictature »
n'est effective que vis-à-vis du Parlement et ne s'exerce pas sur le commandement militaire.
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