Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 67

MARIE-LAURE GÉLY

une « laïcité intégrale ». Une partie de la doctrine soutient cette jurisprudence en
rappelant que la Cour suprême des États-Unis a confirmé que les prières - « reflet
de l'héritage de la nation » et « pratique acceptée par les pères fondateurs » -
étaient compatibles avec les principes de liberté de religion.
Fermement, la Cour suprême rejette l'argumentation de la Cour d'appel ; la
neutralité religieuse n'est pas conciliable avec la bienveillance qui permettrait à
l'État d'adhérer à une croyance religieuse. Et « si, sous le couvert d'une réalité
culturelle, historique ou patrimoniale, l'État adhère à une forme d'expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité ». Strictement, elle repousse
une approche tolérante de la laïcité. Admettant - elle aussi - l'impossibilité d'une
neutralité absolue, elle tranche clairement en faveur d'une « neutralité réelle » qui
suppose l'abstention de toute prise de position au profit d'une religion, de
l'athéisme ou de l'agnosticisme. Le plus haut tribunal canadien affirme que « la
cible de la neutralité réelle n'est pas la stricte autonomie de l'État par rapport aux
perspectives religieuses. L'objectif de la neutralité est de faire en sorte que l'État
demeure - en fait et en apparence - ouvert à tous les points de vue, sans égard à
leur fondement spirituel ». Le rejet de la « neutralité bienveillante » a pu apparaître comme une brèche dans le mur de la « laïcité ouverte » préconisée par la
Commission présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor en 2008. S'appuyant sur une approche libérale et inclusive, ce modèle de laïcité reconnaît l'importance de la neutralité de l'État et de ses institutions mais également celle de la
liberté de conscience et de religion qui permet aux citoyens d'exprimer leurs
convictions religieuses dans la mesure où cette expression n'entrave pas les droits
et libertés d'autrui12.

b. L'adhésion manifeste à une expression religieuse
Selon la Cour suprême, l'État a manqué assurément à son obligation de neutralité religieuse. Cette affirmation s'appuie sur une analyse contextuelle précise
qui démontre que « la prière de la ville est en réalité une pratique dont le caractère
est religieux » et que les représentants de l'État dans l'exercice de leur fonction ont
professé, adopté et favorisé une croyance à l'exclusion des autres.

1. Le caractère religieux de la prière prouvé
La Cour suprême prend soin de souligner que « force est de reconnaître que
l'on trouve dans le paysage culturel canadien de nombreuses pratiques traditionnelles et patrimoniales à caractère religieux ». Si ces manifestations ne violent pas
toutes l'obligation de neutralité de l'État, il ne faut pas que, sous prétexte d'une
valeur patrimoniale, celles qui identifient l'État à une religion perdurent. Or, seul
l'examen attentif des circonstances permet de distinguer les unes des autres. Ainsi,
12. Le gouvernement du Québec a mandaté cette commission en 2007 pour étudier la
question des accommodements religieux dans le contexte québécois. Elle a rendu public son
rapport le 22 mai 2008.

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