Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Jean Rossetto - 69

MARIE-LAURE GÉLY

Dieu » dans le Préambule de la Charte canadienne est réduite par les juges
suprêmes à l'expression d'une thèse politique qui n'a pas pour effet d'accorder
un statut privilégié aux pratiques religieuses. Elle ne saurait « entraîner une
interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l'État à
professer sciemment une foi théiste ». Enfin, la mention du divin dans le
Préambule ne peut restreindre l'étendue d'un droit ou d'une liberté explicitement garantie dans le corps du texte de la Charte.

2. L'évidente instrumentalisation des pouvoirs publics
Lorsque l'État adhère à une croyance, la Cour suprême déclare qu'il ne fait pas
qu'exprimer une opinion sur le sujet. Il hiérarchise les diverses croyances, les individus qui les portent et remet en cause la valeur de celles qu'il ne partage pas. Il
doit donc s'abstenir de prendre position en faveur d'une en particulier. Ainsi, il
préserve un espace public neutre. Le plus haut tribunal canadien souligne que,
comme il est évident que l'État lui-même ne peut se livrer à une pratique, l'expression religieuse relève nécessairement d'un ou de plusieurs de ses représentants
dans le cadre de leur fonction. Dans cette espèce, un enregistrement vidéo produit
par Alain Simoneau décrit le déroulement d'une séance publique du conseil municipal de la ville de Saguenay. Tout commence par l'entrée du maire alors que les
conseillers se tiennent debout. Les personnes visibles à l'écran sont Jean Tremblay
entouré du greffier et du directeur général de la ville ainsi que trois conseillers
municipaux. Chacun fait le signe de croix au début et à la fin de la prière lue par
le maire. Par ailleurs, l'espace public est orné d'objets : une statue du Sacré-Cœur
équipée d'un lampion rouge électrique est placée dans la salle du conseil de l'hôtel
de ville de Chicoutimi et dans celle de La Baie un crucifix est accroché au mur. Si
la Cour suprême ne s'est pas exprimée à cause d'une question de procédure sur
leur caractère cultuel ou pas17, pour le Tribunal il s'agit de symboles religieux
alors que pour la Cour d'appel ce sont des objets d'art dépouillés de connotation
religieuse. Il est raisonnablement possible de penser que - sur ce point-là aussi -
les juges suprêmes suivraient le Tribunal. La présence de ces objets participe d'un
espace public non neutre.
En outre, les propos du maire de la ville devant les juges démontrent que son
comportement a une finalité religieuse et que le « conseil constitue avant tout une
utilisation des pouvoirs publics par le conseil dans le but de manifester et de professer une religion ». La Cour suprême peut aisément décider que dans l'enceinte
des conseils municipaux, lors des séances publiques, donc dans l'exercice de leurs
fonctions, le maire (ou, en son absence, le maire suppléant) et les conseillers
affichent, véhiculent et favorisent une croyance. Expressément, la Cour évoque
une « instrumentalisation des pouvoirs publics » et conclut à l'absence évidente
de neutralité religieuse des représentants de l'État.
17. La Cour suprême a décidé de ne pas se prononcer sur la question des symboles
religieux parce que ce volet n'avait pas été étudié par la Commission des droits de la personne
et des droits de la jeunesse.

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