Systèmes - La Cour de justice de l’Union européenne - 1re - 163

Les espaces d'échange durant le procès

travail se justifie aussi par des considérations plus pratiques. D'une
part, le nombre de juristes-linguistes de langue maternelle anglaise
est très faible. Si la Cour devait travailler en anglais, elle ne trouverait pas assez de juristes-linguistes compétents pour traduire l'ensemble des documents. D'autre part, la Cour est située dans un pays
dont la langue officielle est le français et dont les deux pays voisins
ont aussi le français comme langue officielle. Il lui est donc plus aisé
de recruter des employés pour tous ses services administratifs qui
parlent le français que de trouver des employés qui maîtrisent
l'anglais38. Cet aspect pratique rendrait difficile la mise en place de
deux langues de travail, le français et l'anglais39.
L'argument le plus décisif contre l'usage du français est certainement celui porté par l'avocat général Bobek et le juge
Schiemann40 et admis par I. Pingel (contrairement aux deux premiers, cette dernière ne plaide pas pour le retrait du français).
Selon eux, l'exigence de maîtrise du français a un effet dissuasif,
dans un contexte où c'est la maîtrise de l'anglais qui domine,
comme le rappelle la Commission (Commission, rapport Les Européens et leurs langues, juin 2012). Ainsi, l'un des problèmes majeurs
de la sélection des juges et avocats généraux serait la nécessaire
maîtrise du français. L'idée de l'avocat général Bobek est que, « de
manière un peu exagérée, les sélections ne cherchent pas le meilleur candidat possible, mais les juristes qui se trouvent parler un
peu français et qui sont prêts à être évalués sur cette maîtrise »41.
Il pose le problème dans les termes suivants : l'apprentissage du
français devenant plus rare dans la plupart des pays du monde,
comment attirer les « top candidats » en Europe lorsqu'il est difficile
de trouver des excellents juristes capables de parler cette langue
dans l'Europe du Nord, dans l'Europe centrale orientale, mais
aussi dans l'Europe du Sud Est ?
Cet argument est solide et permet de nourrir utilement le débat
sur la manière d'attirer les meilleurs juges à la CJUE. Toutefois, si la
langue de travail est le français, il ne semble pas que le « comité
255 » en charge d'instruire les dossiers des candidats aux fonctions
de juge et d'avocat général évalue cette maîtrise. En effet, il ne pose
pas la maîtrise du français comme un prérequis mais insiste sur « la
38. K. SCHIEMANN, « The functioning of the Court of Justice in an Enlarged Union and the Future
of the Court », op. cit., p. 10.
39. C. KRENN, « The European Court of Justice's Financial Accountability... », op. cit., p. 473.
40. K. SCHIEMAN, « La langue de travail de la Cour », op. cit., p. 565.
41. M. BOBEK, « Epilogue... », op. cit., p. 308.

163

Systèmes - La Cour de justice de l’Union européenne - 1re

Table des matières de la publication Systèmes - La Cour de justice de l’Union européenne - 1re