Hors collection - Choix d'articles de Pierre Mayer - 348

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CHOIX D'ARTICLES DE PIERRE MAYER

jugement n'est pas son jugement personnel, et ce n'est pas en son propre nom que
le juge se refuse à appliquer la loi compétente : il se borne à défendre les valeurs
que la lex fori fait siennes. Du moins doit-il dépasser la simple constatation de ce
qu'est la règle positive - à laquelle il lui suffit, en droit interne, de s'en tenir - pour
remonter au fondement moral de cette règle et en déduire l'impérativité renforcée
qu'elle présente aux yeux du législateur.
3. - La position de l'arbitre, interne ou international, diffère de celle du
juge. Personne privée tenant ses pouvoirs des deux parties, il n'est pas - en tout
cas, pas essentiellement - le serviteur de la loi. Cela explique que l'on puisse,
dans certains systèmes juridiques, lui attribuer des pouvoirs d'amiable compositeur : et dans ce cas, c'est à son sens personnel de l'équité, dans lequel la
morale entre pour une bonne part, que les parties se fient. Pour donner force
obligatoire au contrat, il lui sera certes loisible d'appliquer l'article 1134 du
Code civil ; mais il pourra préférer appliquer la règle morale selon laquelle on
doit tenir ce que l'on a promis. De même qu'il pourra écarter cette même règle
au nom d'autres considérations morales, comme par exemple celle qui défend
d'abuser d'une position de force ou d'insister sur des conséquences imprévisibles et d'une dureté excessive pour l'autre partie.
Il est vrai que le juge peut aujourd'hui, en droit français, statuer comme
amiable compositeur lorsque les parties, pour les droits dont elles ont la libre
disposition, lui ont par un accord exprès confié cette mission. Mais il est significatif que cette possibilité, d'origine récente, ne soit pratiquement jamais utilisée. Il est vrai aussi que l'arbitre a plus souvent l'obligation de statuer en droit,
que le pouvoir de trancher en équité. Mais même lorsqu'il est tenu d'appliquer
les règles de droit, il ne conçoit pas sa mission - qui n'est d'ailleurs contrôlée par
les tribunaux que sous l'angle du respect de l'ordre public - exactement comme
un juge étatique. Ne représentant pas l'État, n'accomplissant une fonction juridictionnelle que de façon épisodique, et n'étant nullement associé à l'élaboration du droit, il ne voit en ce dernier qu'un ensemble de règles de jugement
destinées à guider sa décision ; son extériorité par rapport à elles lui rend plus
facile d'infléchir leur application dans le sens que sa perception de ce qui est
juste et moral lui dicte6.
4. - Si la différence n'est, malgré tout, guère sensible dans les relations internes
entre l'arbitre statuant en droit et le juge, elle devient radicale dès que l'arbitre se
trouve confronté à une relation internationale. En effet, la morale inscrite dans le
droit qu'il applique n'est pas nécessairement celle dont il est, de par son éducation
et sa formation, imprégné. Or, même lorsqu'il n'a pas reçu le pouvoir de statuer
comme amiable compositeur, il est rare que l'application des règles d'un droit
déterminé lui soit imposée de façon totalement rigoureuse ; très souvent c'est lui
qui les choisit, au nom de leur caractère « approprié ». La dissociation entre la
règle morale et la règle juridique, jointe à une grande liberté dans le choix des
6. M. Bredin (« L'amiable composition et le contrat », Rev. arb., 1984.259, spéc.
p. 270) considère cependant comme peu différentes la position du juge et celle de l'arbitre.

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