Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 169

CLAUDE CHAMPAUD

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Ces équilibres de forces antagonistes régissent les comportements grégaires des
animaux. Leur observation est un des thèmes favoris des éthologues. L'un de leurs
exercices préférés consiste à analyser les causes de ruptures de ces équilibres. Ces
dernières se traduisent par des crises qui vont aboutir à un nouvel ordre sociétal.
Plus une société animale est complexe, plus grand est le nombre des crises et plus
profonds sont leurs effets.
Dans les sociétés mono-personnelles19 comme celles des fourmis ou des
abeilles, par exemple, la fixité du parallélogramme des forces de l'essaim ou de la
fourmilière est telle que hors la disparition collective, seule la crise sociétale que
va créer l'apparition d'une reine nouvelle menace l'équilibre de la ruche. La solution sera alors trouvée dans la scission de l'être collectif par la formation d'un
essaim nouveau. Au contraire, dans les sociétés pluri-individuelles, celle des loups
par exemple, les crises que soulève la domination interne se règlent par des duels
qui permettent au plus fort ou au plus apte20 soit de conserver sa position dominante soit de l'acquérir en chassant de la meute le dominant déchu.
Une étude éthologique un peu plus poussée, que nous ne saurions aborder dans
le cadre du présent article, montrerait que l'établissement d'équilibres sociétaux
nouveaux met en branle des mécanismes psycho-physiologiques complexes. Essentiellement hormonaux pour les sociétés animales les plus rudimentaires, ils
deviennent de plus en plus intellectuels dans les sociétés animales les mieux organisées. Les sociétés humaines, même les plus primitives, subordonnent les comportements sociétaux à des représentations conceptuelles. Moins elles sont « primitives », plus les concepts sociétaux sont élaborés. Cette sophistication progressive constitue l'un des effets les plus sensibles de cette cérébralisation humaine
dont nous parlerons ci-après et dont nous avons déjà signalé qu'elle était l'une des
caractéristiques de « l'humanitude ».
C'est à ce moment qu'intervient le droit, que l'on pourrait définir comme l'ensemble des concepts normatifs qui soumettent les comportements humains (ethos)
à des impératifs (éthiques) correspondant à un jugement de rectitude de l'acte en
cause au regard d'une valeur partagée dans la société humaine considérée.
Le droit, système de régulation de comportements sociétaux humains.
Dès lors qu'elle n'est pas en état de décrépitude, voire de léthargie, toute organisation sociétale ouverte ne vit et ne progresse que par une alternance de phase
d'équilibres et de crises21. Si la crise est indissolublement liée aux progrès des
19. Celles où la personnalisation sociétale se situe au niveau du groupe et non à celui de
l'individu physique ou plutôt, devrait-on dire, de l'être biologique.
20. Pour les sociétés de cercopithèques longuement étudiées au laboratoire CNRS de
Paimpont, il a été établi que le mâle dominant n'est ni le plus vieux, ni le plus vigoureux
sexuellement, ni le plus beau, mais celui qui manie le mieux le langage compréhensible par la
majorité de la bande. N'est-ce pas aussi le critère ordinaire de nos sociétés contemporaines que
celles-ci soient des dictatures ou des démocraties ? La dictature des médias n'a fait que renforcer cette règle qui est aussi la base du marketing commercial.
21. C. Champaud, « Les troisièmes voies sociétales ou comment sauver la démocratie
et l'économie de marché », (introduction), Liber amicorum Bernard Remiche, Larcier,
Bruxelles 2014.

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